The Cure

A Forest

A Forest

 Label :     Fiction 
 Sortie :    1980 
 Format :  Single / Vinyle   

Ahhh... Les singles... A l'époque cela signifiait quelque chose. Et beaucoup se rendaient régulièrement chez leurs disquaires pour farfouiller dans les cartons, histoire de trouver un morceau de leur groupe fétiche. Pas moyen de se renseigner autrement. Internet n'existait pas.
Et les fans de The Cure, désireux de retrouver un post-punk tourbillonnant et adolescent digne de "Boys Don't Cry", ont du sacrément tomber des nues lorsqu'ils ont placé le vinyle de "A Forest" sur la platine. Tout d'abord la pochette : on passe de couleur pastel, façon Do-It-Yourself et collage, à une esthétique gothique des plus sombre. Ces arbres décharnées, droits comme des piquets, à filer des frissons, tout en provoquant une hébétude fascinante. Quant à la musique, ce sera bien pire...
Froide, glaciale presque, d'une lenteur qui saisit à la gorge, avec son intro inoubliable et géniale. L'effet dégoûtera beaucoup de gens. Mais pour les autres, le traumatisme les hantera pour longtemps.
C'était l'époque où il n'y avait pas d'actualité du groupe en direct live, pas d'images de concert sur Youtube, pas de site ou de page Myspace pour se tenir au courant. Aujourd'hui les groupes négligent les singles. Tout juste s'agit-il de remplissages, souvent avec des remix inutiles, qui sont plus des deals entre DJs de manière à se faire du fric facile. Alors que le seul moyen de faire patienter les fans auparavant était de sortir de temps en temps des singles en vinyles, qui devenaient alors des objets de culte, de collection à défaut. Mais c'était aussi un moyen pour le groupe de communiquer, de faire partager l'évolution de leur style en d'autre terme. Beaucoup plus authentique comme approche finalement que les entreprises de communication à la radio, chapeautées par les maisons de disque. Et ceux qui cassèrent leur tirelire pour acheter ce single historique étaient loin de se douter de ce qu'ils allaient découvrir.
The Cure passe de l'adolescence à l'âge adulte en sautant pas mal d'étapes et en perdant pas mal de ses illusions. En 1980, le groupe est encore jeune, très jeune, mais c'est comme s'ils avaient vieilli tout d'un coup, et brutalement. La démarche s'accompagnera d'un propos beaucoup plus rêche, tout comme la musique du reste, glissant petit à petit, insidieusement même, vers une exploration des tréfonds des turpitudes intérieures. Une sorte de sémantique du spleen et de la solitude psychanalytique. Menant le groupe, comme l'auditeur, vers une lente glissade qui n'a même pas de destination d'ailleurs, hormis une direction qui plonge et plonge encore. L'ambiance, alors qu'elle gagnera en épure, perdra en légèreté, flirtant avec une évanescence en clair-obscur.
Jamais basse n'avait été aussi insistante, menaçante, et il n'est pas étonnant qu'il ne reste plus que cet instrument à la fin du morceau, puisque cette basse, celle de Simon Gallup, FAIT le morceau. Quant aux autres guitares, à aucun moment elles ne prennent le dessus. Elles ne font qu'accompagner la basse, en dessinant des arpèges coupants, aiguisés comme du métal et particulièrement tranchants, accélérant parfois le rythme mais sans jamais exploser. Le ton est trouble, lancinant, à l'image de ces effets écho, ces claviers en arrière fond qui reviennent et hantent le morceau comme des fantômes. Ce n'est pas la peine de compter sur une présence humaine, cela fait bien longtemps que toute chaleur a quitté le groupe, en proie aux drogues ou à la parano ou à la mélancolie, ou aux trois à la fois. Impossible de s'accrocher à la batterie de Laurence Tolhurst, c'est un zombie qui contrôle la cadence, pire un robot, maintenant une cadence métronomique d'une précision et d'une régularité chirurgicale, au point d'instaurer une présence particulièrement inquiétante. Les accords de guitares se chevauchent, dialoguent et s'entrelacent avec une finesse et une délicatesse sans pareille.
Et pendant ce temps-là, Robert Smith, encore jeune, encore les cheveux courts, encore innocent en apparence, chante d'une voix aphone, soufflée et plaintive, sans pour autant qu'on puisse y distinguer la moindre émotion dans son timbre. Uniquement des litanies répétées sans fin utile, succession de paroles cryptiques sur l'angoisse, la peur du vide, la mort et l'obscurité. 'Suddenly I stop but I know it's too late I'm lost in a forest all alone'.
Et à la limite, la face-b, "Another Journey By Train", est encore plus vicieuse. Un instrumental effrité, élégiaque et englué dans un ton monochrome, en noir et blanc. La basse est affolante, rampante et rebondissante, elle tire vers le bas et entraîne avec elle, les guitares et les claviers vers une douce grisaille, malgré un tempo légèrement plus rapide que "A Forest".
Le changement de ton est radical. Nombreux seront ceux qui ne s'en remettront jamais, assistant là à la première signature d'un groupe gangrené par l'introspection et le goût pervers de la dépression. La sobriété du style et surtout de la texture des instruments décharnées jusqu'à ne devenir que des machines imposera une nouvelle revendication : l'émergence d'un rock sans tabous, ultra-personnel et cafardeux. Cette mise à nue (angoissante sur Seventeen Second, perverse sur Faith, voire carrément obscène sur le mythique Pornography) participe à un état d'esprit d'absence et de volonté du 'donner à voir' sans y insérer une seule dose d'émotions qui pourraient travestir tous les travers de l'âme humaine, que The Cure dissèque avec méthode et des outils de chambre froide. Le vague à l'âme sans tabou, cette conversion gothique de la perversité en forme d'art, se traduit ici par un rock absous de toute implication et tout intérêt, hormis celle de plonger l'auditeur dans une transe poétique comme mélancolique. D'autant qu'il n'y a aucun espoir, aucune échappatoire. Le groupe le sait et le reconnaît ('I'm running toward nothing again and again'). Une sorte de mise en musique d'une descente aux Enfers, d'une marche funéraire, du blanc jusqu'au noir absolu. Avec deux solutions au bout : le déni ou la mort.
A faire froid dans le dos.


Exceptionnel ! !   19/20
par Vic


Proposez votre chronique !







Recherche avancée
En ligne
197 invités et 0 membre
Au hasard Balthazar
Sondages
Finalement, au vu des projets nés après leur désunion, vous êtes très content qu'ils aient splité:


At The Drive-In
Atari Teenage Riot
Big Black
Black Flag
Diabologum
Faith No More
Fu Manchu
The God Machine
The Murder City Devils
Refused