Bob Dylan

The Bootleg Series Vol. 14: More Blood, More Tracks

The Bootleg Series Vol. 14: More Blood, More Tracks

 Label :     Columbia 
 Sortie :    vendredi 02 novembre 2018 
 Format :  Compilation d'inédits / CD  Vinyle   

Du rab de Blood on the Tracks, c'est un peu comme si on vous disait ah oui au fait, y a des versions alternatives de la Joconde, ça vous intéresse ? Bon, c'est pas ouf comme comparaison et j'y connais rien en art, le seul que je maîtrise un tant soit peu, c'est celui de Bob Dylan et, comme le prouve les Bootleg Series, dès qu'on croit en avoir fait le tour, y en a encore.

Le quatorzième volume de la collection est donc consacré à cet album plus connu sous les clichés de "meilleur album de rupture de tous les temps" ou "plus beau comeback de tous les temps". Je le qualifierais plus tôt de "meilleur anthologie sur l'amour" et je vous invite à réécouter Another Selfportrait ou Planet Waves pour vous rappeler que Dylan était loin d'être aussi perdu qu'on le raconte. L'histoire derrière le chef d'œuvre, elle est connue, la voilà résumée : après être revenu sous le feu des projecteurs lors d'une épuisante tournée avec le Band, Bob amène son amante dans la ferme de son frangin pour un été loin des tentations newyorkaises et des disputes familiales. Il peint, lit du Tchekhov et nous pond des textes qui contiennent toutes les voix sans issues, les infinies et les contradictions des relations amoureuses, textes qu'il passera sa vie à peaufiner, réécrire et paraphraser. De retour en ville, il enregistre tout ça en solo dans son studio habituel et puis, sous les conseils de son frangin, il embauche un groupe à Minneapolis pour des versions plus orchestrées. Les deux sessions sont mélangées et le disque sort en janvier 75. Les critiques sont mitigés. Il faudra attendre que la pierre roule suffisamment pour devenir angulaire et rejoigne Highway 61 Revisited et Blonde on Blonde au panthéon. Dylan sera depuis longtemps passé à autre chose (sa spécialité) et dira régulièrement qu'il ne s'agit pas d'un album-concept sur le mariage ou d'une autobiographie mais de simples chansonnettes amoureuses, rien de plus.

Ces chansonnettes, elles coulent dans mon sang depuis bientôt quinze ans et je ne pourrais pas vivre sans. À chaque écoute, un frisson nouveau, une nouvelle leçon de vie, d'écriture et d'humilité. Les points de vue varient, les souvenirs et figures évoqués sont de plus en plus nombreux et, à mesure que je vieillis, la rancœur devient tristesse et la tristesse devient sagesse. Les redécouvrir dans des versions nouvelles, un "Tangled Up in Blue" avec de nouveaux pronoms, un "Simple Twist of Fate" avec une fin alternative, un "Shelter From the Storm" plus lumineux, c'est enrichir toute sa palette d'émotions et trouver de nouveaux compagnons d'infortune. Traitez-moi de complétiste (c'est à nous que s'adresses ces compilations après tout) mais là, c'est pas juste la collection qui est complétée, c'est une partie de soi retrouvée. Dylan ne nous doit rien mais Columbia nous devait bien ce cadeau tant attendu, longtemps repoussé, disponible en pièce détaché sur le marché noir et enfin capturé dans un magnifique coffret (carnets de notes et livret photo en bonus) ou dans une version allégée plus facile à digérer (et à expliquer au banquier).

Comme avec The Cutting Edge, il ne sert à rien de tout s'enfiler dans l'ordre, mieux vaut se compiler une multitude de Blood on the Tracks alternatifs, soit tout acoustique, soit tout orchestré, soit un savant mélange des deux, à vous de jouer, c'est un meuble Ikéa dont vous êtes le héros. Selon l'humeur, on préférera un "Idiot Wind" ravageur, acerbe, orageux ou apaisé. La sous-estimée "Lily, Rosemary & the Jack of Hearts" se savourera en cavalcade épique ou en comptine au coin du feu encore plus tragique (dans les deux cas, le phrasé de Dylan et sa manière d'épeler chaque syllabe comme bon lui semble est un régal). "Meet Me in the Morning" peut être un cri de l'aube ou du crépuscule (et encore un morceau trop souvent oublié alors qu'il groove et annonce déjà la Rolling Thunder, même sous sa version démo "Call Letter Blues"). On retombe amoureux de l'outtake "Up to Me", déjà entendu sur la compil Biograph et on redécouvre "You're Gonna Make Me Lonesome When You Go", plus proche dans ses premières prises d'une jam avec le Band période Basement Tapes. Et si certains auront toujours une préférence pour le "Shelter From the Storm" orageux de la tournée 76 (moi), c'est touchant d'entendre ce piano de bal essayer de lui offrir des fioritures dont elle n'a pas besoin. "If You See Her Say Hello" était la chanson que j'appréciais le moins et je la redécouvre ici dans une démo dépouillée et belle à chialer. Même traitement pour la classique "You're a Big Girl Now" qui me fendrait le cœur même si on y ajoutait un solo de saxo (ce que Dylan n'aurait pas hésité à faire pendant la tournée 78). Et comme rien n'est plus doux que les accords délicats de "Buckets of Rain", vous en reprendrez bien une dizaine de versions, toutes plus exquises les unes que les autres (il manque juste la version avec Bette Midler, comme quoi c'est compliqué d'être exhaustif). Il ne reste plus qu'à piocher dans ce répertoire classique mais jamais désuet et y retourner à chaque saison pour y voir de nouvelles couleurs.

Sundown, yellow moon / I replay the past / I know every scene by heart / They all went by so fast... Ah Bob, décidément, ensemble pour la vie. Avec plus de sang, plus de pistes et l'amour résiste au temps.


Intemporel ! ! !   20/20
par Dylanesque


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