Dominique A

Bordeaux [vendredi 15 mars 2002]

De passage à Bordeaux à la Rock School Barbey, lors de la tournée en groupe suivant la sortie de "Auguri", Dominique A se prête au jeu de l'interview, mi distant mi confidant, après avoir désespérément cherché un endroit calme pour répondre aux questions posées par Gaëlle de Radio MDM, avec Elmo de XSilence.



Elmo : Pourquoi ce nom d'album, Auguri ?
Dominique A : Pour faire rire une amie très chère,... c'est sans signification en fait, un voyage en Italie à ce moment-là. J'aimais bien le mot... des souvenirs personnels en fait. C'est un nom de code comme La Fossette ou Si Je Connais Harry, ou comme les albums de Police, dans les années 80, qui s'appelaient n'importe comment.

Auguri vient après Remué, qui était assez sombre, Comment le définiriez-vous ?
D : Les gens disent parfois que c'est un mélange du troisième et du quatrième, à savoir le côté pop de La Mémoire Neuve et le côté rêche de Remué. Quand à moi, j'ai l'impression d'écrire de façon différente un peu les mêmes chansons depuis le départ, puis de les arranger un peu différemment, mais je dirais que je fais ce genre de truc depuis le début. Au départ, j'étais vraiment tout seul, très accès sur les sons de claviers et la programmation de boîte à rythmes. Maintenant, j'ai plus une orientation basée sur le jeu en groupe. Auguri est vraiment basé sur un côté guitares/batterie, ce qui est d'une originalité folle ! Mais c'est ce qui m'intéresse aujourd'hui.

Sur cet album, des textes comme Le Commerce De L'eau apparaissent de fiction, d'autres comme En Secret semblent plus autobiographiques. Où est la part de vérité dans ces textes ?
D : Il n'y a rien d'autobiographique. Je n'ai jamais vécu les relations sado-maso qui sont décrites dans En Secret. C'est toujours de la fiction pour moi. Après, la part d'autobiographie, elle est inévitable je dirais, mais pas consciente. La partie autobiographique, c'est plus souvent des petits machins drôles... Sinon, il y a la chanson Les Terres Brunes, qui a un petit caractère autobiographique, mais c'est tout. Je ne me sens pas obligé de me livrer corps et âme dans ce que je fais. Je travaille en fait. Il y a un côté très froid dans ma façon de faire, il fait pas plus de quinze degrés dans l'appartement quand je compose.

On ne dirait pas à leurs écoutes!
D : Encore heureux... Quand j'écris un morceau et que je suis dans un état d'embalement, il y a l'adrénaline qui monte, et qui fait que quelque chose en sort. Cela me surprend. Je suis dans le truc, et des phrases naissent sans but précis... Ce n'est pas comme une personne qui dirait "tiens je vais écrire sur tel sujet". Après, il faut faire en sorte que cela soit cohérent avec le travail musical. C'est cela qui fait la chanson, car pour moi, le texte en lui-même ne représente rien. Par exemple, dans une chanson comme Pour La Peau, le côté obsessionnel des quatres accords servent le propos... Enfin... j'ai pas envie de trop analyser tout ça.

Après deux mois de tournée en solo, que vous apporte le fait de retourner en groupe ?
D : C'est le plaisir de jouer et de partager avec des gens. Cela tient presque du fantasme, je n'ai jamais connu les colonies de vacances ! L'énergie est très différente quand tu es en groupe. Il faut trouver une énergie commune, c'est assez aléatoire en fait. Tout seul, on ne se surprend pas tellement. Quand je suis en solo sur scène, j'essaie d'adapter le concert aux réactions des gens. C'est très versatile, il y a un ordre des morceaux aléatoire qui dépend des réactions des gens, de ma forme physique. En groupe, ce n'est pas le cas. C'est comme une pièce de théatre, toutes proportions gardées. On propose quelque chose de très figé ; le truc, c'est que l'on ne s'ennuie pas, d'un côté comme de l'autre. Il y a un esprit examen, présentation de travail, qui me plait énormément.

Vous préférez quelle formule ?
D : Sur scène, le truc solo est plus excitant, dans la mesure où je suis au pied du mur. Il y a zéro possibilité de se raccrocher à qui que ce soit. Par contre, en groupe, quand cela fonctionne vraiment très bien, quand c'est un bon soir, les émotions sont finalement plus fortes. Mais je ne choisis pas, les deux terrains ont leurs avantages et leurs inconvénients. Le truc solo est plus excitant, la formule en groupe est plus jouissive quand cela fonctionne.

Considérez-vous le groupe qui vous accompagne comme des amis ?
D : Oui, ce sont des amis, mais ce sont de bons musiciens en premier lieu. En second lieu, et maintenant c'est carrément un corrolaire, je ne veux plus travailler avec des gens avec qui je ne m'entends pas. Pendant longtemps, cela a été le cas, j'ai toujours eu des petits problèmes humains avec mes collaborateurs.

Y a-t-il d'autres personnes avec qui vous aimeriez travailler en particulier ?
D : Non, parce que j'aime bien rencontrer les gens avant d'envisager de travailler avec. Les gens que j'aime bien en musique, je n'ai pas spécialement envie de faire quelque chose avec eux. Quand j'aime un artiste en musique, j'aime bien rester dans la peau de l'auditeur, du fan et ne pas forcément le rencontrer. Avant, j'étais du genre à envoyer mes disques à droite et à gauche, dès que quelque chose me plaisait. Quelques fois, cela m'a servi, je pense notamment à une collaboration avec un américain Stefen Merid pour une compilation. Maintenant, je préfère que les rencontres se fassent d'elles-mêmes, qu'on ne les force pas. Quand on est fan d'un groupe, d'un chanteur ou d'une chanteuse, je pense que la magie s'évapore quand on est amené à travailler avec eux.

Comment s'est passé la rencontre avec John Parish ?
D : Dans un bistrot à Nantes ! Cela s'est fait très simplement. On l'avait pressenti pour le mixage de l'album de Françoiz Breut, Vingt à Trente Mille Jours, il n'était pas disponible mais on est resté en contact. Puis on s'est rencontré sur une tournée où il jouait comme musicien additionnel pour Giant Sand. Entre temps, il avait écouté mes deux précédents disques, mais surtout il était intéressé car il aimait beaucoup le premier disque de Françoiz Breut, où j'avais beaucoup collaboré. Je pense que si il n'avait pas été intéressé par ce disque, il ne serait peut-être pas venu. C'est quelqu'un qui à beaucoup de pain sur la planche. Très rapidement, on est allé en studio...

Y a-t-il une grande différence à travailler avec des anglo-saxons ?
D : Dans le cas de John Parish et Head, il y a une efficacité qui est assez redoutable sur certains terrains. Cela sonne vraiment très bien ; c'est la première fois, pendant un enregistrement, que ce que j'entends sur bande sonne quasiment mieux que ce que j'entends dans la pièce. Quand tu enregistres, c'est assez troublant en fait ! Le maître mot, c'est l'efficacité, le côté hyper instinctif. Pour eux, faire du boucan c'est culturel. En France on n'a pas cela. Quand on fait du boucan, et que c'est réussi, c'est exceptionnel. Pour eux c'est juste normal, c'était dans le biberon.

Il y a enfin une scène française rock qui émerge. Pensez vous avoir participé à ce phénomène ?
D : J'espère bien... (rires). J'y ai contribué, enfin, comme d'autres gens. Il se trouve que je suis là car je travaille et tourne beaucoup, mais cette émergence était latente. C'est chronologique. Quand je suis arrivé, il y avait plein de petits trucs, mais rien n'émergeait... et puis on avait surtout l'impression que les gens s'en foutaient un peu. Ce n'est pas que les groupes n'existaient pas, c'est qu'il n'y avait pas le public. Après, des choses sont arrivées, mais je pense vraiment que c'était latent, que cela soit avec moi ou avec d'autres. Il y a maintenant beaucoup de choses, mais il y a aussi à la base des a priori moins négatifs de la part du public par rapport aux groupes français. Le rock français a longtemps été incarné par Trust et Téléphone ; je dis cela sans moquerie, c'est un fait. Les gens n'avaient pas grand chose auquel s'accrocher, mis à part Noir Désir. Maintenant cela foisonne. Mais là, cela fait un petit moment que je n'ai pas été bousculé par un groupe français.

Après cinq albums, avez-vous l'impression d'avoir atteint une certaine maturité ?
D : Sincèrement, non. La maturité est incompatible avec ce métier là. Je sais accorder ma guitare, si c'est cela la maturité, alors je suis mature. Il vaut mieux rester immature, sinon on se dit que tout ceci n'est qu'un cirque.

Pourtant avec cet album on vous sent plus apaisé...
D : A mon sens, je ne suis pas apaisé du tout. Pour La Peau, Le Commerce De L'eau, Evacuer, Les Hommes Entre Eux, je ne trouve pas que cela dégage une sérénité à toute épreuve. En fait, cela dépend dans quel sens on le prend. Pour Remué, tout le monde disait que c'était torturé. C'est vrai, mais il n'y avait pas que cela. De la même façon, on me dit que Auguri est décontracté... cela me semble être caricatural.

Vous aviez participé au concert du GISTI pour les sans papiers à l'Elysée Montmartre, puis il semble que vous n'avez plus rien fait. Vos textes ne sont pas engagés. Où vous placez vous dans ces engagements politiques ?
D : Si, j'ai fait quelques concerts de soutien en dehors de celui-là, toujours pour les sans papiers, mais beaucoup moins médiatisés. Personnellement, je ne suis pas très à l'aise avec l'idée de lier une reconnaissance publique à du militantisme, c'est mélanger un peu tout. Le concert du GISTI n'est pas un très bon souvenir, pour une raison toute simple, qui est bête mais pour moi très parlante : le concert du GISTI, qui a fait l'objet d'un disque, avait pour grand mot la liberté de circulation. Déjà, j'étais là pour aider une association qui fournit des aides juridiques à des sans papiers, la liberté de circulation, c'est un autre débat. Cautionner, cela m'a gêné en fait, je ne sais pas ce que cela engage, c'est très utopique mais... La deuxième raison, c'est que pour accéder aux loges, j'ai dû me fritter avec des videurs, ce qui est risible lors d'un concert pour la liberté de circulation. En troisième lieu, les médias sont très friands de cela ; les assos et les artistes en jouent, cela me met mal à l'aise.
Par rapport à ma musique, cela ne m'effleure jamais de traiter ces sujets-là en chanson. A mons sens, cela ne se chante pas. En plus, tu prêches pour des convertis... dans un concert de rock, tu sais où est la tendance générale. Cela n'a aucun intérêt. Donc moi, je préfère chanter des chansons d'amour mille fois rabattues. En plus, en faisant cela, je pense que tu donnes une vision du monde qui en vaut bien une autre.

Pourquoi avoir quitté Lithium pour Labels ? Un petit pour un gros ?
D : Non, ça, c'est la vision que vous avez. Lithium travaillait avec Labels, un peu moins maintenant. Moi, je travaille depuis sept ans avec Labels. Ces derniers allouaient une enveloppe de fonctionnement à Lithium, et tout le travail promotionnel était fait par Labels. Avec Lithium, c'était surtout une concertation sur le plan artistique... je travaille encore avec eux sur un projet de disque avec Oslo Telescopic. Et puis, c'est surtout Lithium qui a voulu revendre mes bandes à Labels pour des histoires d'argent. Je leur coutais plus d'argent que je ne leur en apportais. C'est une contradiction qui arrive souvent quand tu es un petit label. Quand un de tes artistes marche, il faut pouvoir le payer, tu es donc obligé de revendre les bandes.
Et puis Lithium est un label à l'identité artistique très marquée, et je me sentais un peu éloigné de leurs choix artistiques... voilà les raisons de ce transfert !

Après dix ans de carrière, vers où vous dirigez vous ?
D : Tout droit au cimetière !! (rires). Sérieusement, j'essaie d'être dans la remise en cause quotidienne, donc je ne sais vraiment pas.




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