Frank Zappa

Ahead Of Their Time

Ahead Of Their Time

 Label :     Rykodisc 
 Sortie :    mardi 23 mars 1993 
 Format :  Album / CD   

28 Octobre 1968, les Mothers donnent un spectacle au Royal Festival Hall, à Londres. Terry Gilliam y assista. Trente ans après il dira encore: '"il me reste une épine dans le pied que je ne parviens pas à retirer, et cette épine a pour nom Frank Zappa".
Vingt-cinq plus tard Zappa meurt. Il édite les dernières clés de la Continuité Conceptuelle, travaille en cinématographe, enchaine ce qu'il nomme des "documentaires" (la série "You Can't Do That On Stage Anymore"). L'art poétique de Zappa est une forme d'alchimie; il s'efforce donc de livrer les recettes, de mettre en lumière les secrets de son art afin que tout ne soit pas perdu. Lui-même ne peut plus lutter avec la verve d'un "Freak Out!" ou d'un "Porn Wars". Il a tout arrêté en 88, épuisé, déprimé, déçu et malade. Il passe le relais mais sans se faire d'illusions. Ahead Of Their Time fait partie de ce travail de documentation. Il est ce concert auquel assista Terry Gilliam. et on est en droit de supposer que le choc que l'univers de Zappa lui infligea inspirera Gilliam pour ce que l'on connaît de lui. Car Zappa donna l'un des concerts les plus fantastiques de l'histoire de la musique populaire ce soir là. Le disque ne donne qu'une idée de ce qu'a pu être ce spectacle total. Une description s'impose (description largement inspirée du travail de Pacôme Thiellement dans "Economie Eskimo).

Le concert commence par une mignonne pièce de musique moderniste interprétée par Bunk Gardner à la clarinette, Ian Underwood au piano et Art Tripp aux percussions. Zappa apparait, lunettes noires et béret violet. présente les musiciens comme étant les seuls membres des Mothers sachant lire une partition. Mais l'interprétation érudite est violemment perturbée par un jeu sauvage de claviers électroniques. Le trio proteste mais Don Preston aux synthés tout saturés leur rétorque que jouer ce style de musique les empêche de voir son aura.
"Tu parles je la vois ton aura, elle est pleine de merde" répond Underwood.
"Nous devons évoluer! Il doit y avoir du Progrès! Vous devez manger macrobiotique et étudier l'astrologie!" répond Preston.
Sur ce le trio décide de former leur propre groupe. Sur scène apparaît alors l'orchestre symphonique de la B.B.C dont tout les membres sont maquillés en robots. Zappa présente le nouveau groupe nommé "Discipline".
Motorhead Sherwood, considéré comme le moins bon des Mothers, débarque et veut jouer avec le nouveau groupe mais le trio le renvoi illico. Motorhead décide alors d'insister et tandis que "Discipline" interprète une nouvelle pièce, il enfile un smoking, se maquille en robot et s'infiltre dans l'orchestre l'air de rien. C'est au tour de Jimmy Carl Black "the indian of the group" de perturber le trio en smoking. Il leur explique qu'à Londres, s'ils veulent sauter des groupies ils ont plutôt interêt à balancer leurs costumes et à devenir des pop stars. Carl Black se jette alors dans le public, une bière dans chaque main pour se trouver une nana.
Vient alors le tour du bassiste Roy Estrada qui apparait sur scène vêtu en Pape, deux gros seins métalliques qu'il caresse tout en balançant au public des smarties censées être des pilules contraceptives. Après son tour il supplie Underwood de lui faire passer une audition afin d'entrer dans le groupe "Discipline". Il pleure à grande eau, expliquant entre deux gémissements qu'il est partout rejeté parce qu'il est mexicain. Le trio de "Discipline" excédé, décide de lui faire passer une audition. Estrada chante alors un magnifique "Holiday In Berlin", mais les robots de l'orchestre le huent. Le pape aux gros nichons est renvoyé.
"Discipline" croyant pouvoir être enfin tranquille joue une pièce de musique "sérieuse" mais Motorhead qui attendait patiemment sa vengeance incognito au milieu de l'orchestre joue un solo free et furieux qui coupe la chique au reste des musiciens. Le groupe le vire direct et le pauvre saxophoniste pleure sur les nénés du pape Estrada qui tente (sans doute ému) de sodomiser son poulain.
"Discipline" ignore la scène et tente de jouer. Don Preston pendant ce temps prépare son atelier de chimiste avec tube à essai et produits fluos mousseux. Il se transforme en monstre après avoir bu quelques décoctions de son goût. Comme Nosferatu il s'approche d'Underwood tout absorbé dans un solo de piano, l'étrangle et le remplace. Preston joue un thème de cabaret et tous les Mothers le rejoignent pour danser et chanter tout joyeux. Mais Underwood revient, étrangle Preston et reprend le morceau classique qu'il pourra terminer sans ambages.
Suite à cette piécette de thêatre, les Mothers Of Invention interprètent un medley d'une quarantaine de minutes, enchainant entre autres "King Kong" , "Pound For A Brown" et "Oh No", pour venir clore leur interprétations sur deux solos formidables, le premier de Zappa jouant de la fuzz comme Hendrix, avec cette même violence abstraite, puis un solo interminable de saxo électrique d'Underwood qui décortique le thème, calquant un "King Kong" atonal, n'ayant pas peur de partir à côté pour mieux reprendre la ligne mélodique en dérapage.
Le spectacle est fini. Sacré épine en effet! Zappa nous montre qu'une musique se fait toujours autour de tensions humaines au sein d'un groupe. Un piano n'est pas seulement un piano, c'est aussi un être humain fan de macrobiotique et d'ésotérisme, la batterie est jouée par un indien adorant la bière et les femmes, et l'institution classique ne forment quant à elle que des robots qui ont pour tâche d'interpréter de la façon la plus impersonnelle une musique écrite. Zappa renseignera toujours l'auditeur sur l'architecture du groupe, sur ses éléments, car ils sont une source de connaissance qui enrichit et donne un point de vue objectif et démystificateur sur la musique interprétée.
Zappa critique aussi la notion de progrès. Sa musique a souvent été assimilée pour sa complexité au style dit "progressif". Mais pour Zappa, le progrès dans la musique ne se fera pas sans des changements dans les comportements humains. Il a d'ailleurs une théorie qui stipule qu'un style de musique est toujours accompagné d'un style vestimentaire, autrement dit comportemental. Tant que la musique sera assujettie à ce genre de données étrangères, le progrès restera de la foutaise. La mode n'est pas à rejeter au contraire, mais il faut être des monstres, non identifiables, dérangeant, hybrides, comme Beefheart ou les Residents, afin de questionner ce lien stylistique, de le mettre en péril, et d'ainsi laisser échapper une nouvelle forme de poésie dérangée, dadaiste, discursive. Stravinsky revenant aux canons classiques après les avoir liquéfié en est un bon exemple. La logique progressiste est ici mise à mal. Pour Zappa, il faut avant toute chose repérer la qualité disruptive, échappant aux définitions stylistiques au sein même d'un style pour créer un art poétique d'une puissance sans égal. Le Doop-Woop, le Jazz, la musique dodécaphonique, peuvent toute être liée par cet aspect monstrueux latent au sein même de leur "case" stylistique. Fini les cloisons. il s'agit de tout réactiver avec folie et d'observer avec joie les réactions mousseuses, le précipité blanc honteux qui se forme lorsque l'on mélange du Howlin' Wolf avec du Webern avec un soupçon de Peter Frampton dans un tube à essai.

P.S: attention tout de même, ces procédés peuvent provoquer des réactions ou des évènements incontrôlables. Un incendie en Suisse par exemple...


Intemporel ! ! !   20/20
par Toitouvrant


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