Frank Zappa

Jazz From Hell

Jazz From Hell

 Label :     Rykodisc 
 Sortie :    samedi 15 novembre 1986 
 Format :  Album / CD  Vinyle   

Zappa en a marre des gens. Marre des orchestres symphoniques qui lui coûtent les yeux de la tête, marre d'un Boulez qui n'entache en rien sa caricature, marre des concert italiens où des seringues hypodermiques volent un peu partout. Zappa enfile donc ses lunettes, ferme la porte du studio, s'assied face à un écran et travaille seul. Il joue du Synclavier, un synthétiseur numérique qui lui permet de composer et contrôler le moindre son selon des modalités inédites. Imaginez Zappa jouant d'un instrument déjà utilisé par Kraftwerk, New Order et Michael Jackson. Ca rend une musique qui préfigure d'une dizaine d'années l'electronica la plus audacieuse.
Déjà la pochette.
Zappa pose cravate au cou et grand veston de commercial. On dirait le héros d'une série policière. Il regarde l'auditeur avec sévérité. A priori on atteint les pires archétypes des années 80. Une typographie rosâtre pour couronner le tout: Jazz From Hell.
Zappa a une relation compliquée avec le jazz. Tantôt il rend hommage à Dolphy et son amour des barbecues, ou il annonce au Roxy: "Jazz is not dead it's just smells funny", ou bien il consacrera deux cd au style avec "Make a Jazz Noise Here". Zappa aborde le jazz selon divers points de vue, parfois contradictoires. On peut alors saluer l'ironie du titre car la musique électronique qui se trouve inscrite sur la galette n'a rien d'un big band, peut être à la rigueur se rapprocherait-elle d'un combo free amoureux du langage binaire mais on me l'accordera ca commence à tirer sur les cheveux. Prenons Zappa aux mots: c'est du Jazz d'enfer. Point.
L'album démarre sur un thème mélancolique comme un "Peaches In Regalia" qui aurait le blues. Puis le développement se complexifie à la manière des improvisations modales de Coltrane. La musique évolue par paliers harmoniques et ne semblent pas pouvoir avoir de fin. Zappa tricote ses harpéges autour de doubles et triples noeuds de couleurs subtiles, très nuancées. Le tout se produit à une vitesse phénoménale. Le débit d'information sonore se rapproche des travaux les plus speedés d'Aphex Twin (un musicien qui aurait certainement intéressé Zappa). Fin. On reprend son souffle.
"The Betway Bandits", morceau tribal dodécaphonique au rythme entêtant. Zappa explore de nouvelles directions fort originales. La musique atteint des niveau de complexité incroyable. On dirait un disque de Webern passé en 45 tours superposé à des percussions brésiliennes.
"While You Were Art II", le plus long morceau du disque (7 minutes) et aussi le plus dense. Très influencé par Colon Nancarrow, musicien classique qui écrivait des compositions seulement interprètable par des pianos mécaniques tant la densité de l'écriture était inhumaine. Zappa voit dans l'utilisation de l'électronique un moyen de faire une musique qui outrepasse justement les limitations du corps. Plus de groupe, juste des idées. Ici on peut même se demander comment un cerveau peut sécréter autant d'idées à la seconde. Ce morceau est comme un accordéon temporel. Sa densité est telle que l'on pourrait étendre la musique sur 20 minutes, elle serait toujours aussi riche.
"G-Spot Tornado", le "tube" du disque est une gerbe de gargouillis et de blurps harmonisés sur un thème typiquement zappaïen. Atroce pour les uns, superbe pour les autres.
"St. Etienne" fait exception à la règle puisque ce n'est pas un morceau électronique mais l'un des plus beaux solos de guitare de Zappa. Et l'on peut constater avec effarement (bouche ouverte, oeil jaune) qu'il compose en improvisant. "St. Etienne" pourrait être réinterprété au Synclavier, on atteindrait la même densité, la même cohérence. Sachant que Zappa jouait de la guitare parfois une heure à chaque concert, on peut s'imaginer combien de morceaux il composait en live.
Jazz From Hell est un album qui démontre l'inspiration toujours renouvelée de Zappa (Il resterait environ 200 compositions au Synclavier toujours non publiées... ). C'est sans doute l'un des albums les plus abstraits de sa discographie mais la pochette fût pourtant ornée du "Parental Advisory", blason d'une loi contre laquelle il se sera battu. Sans doute n'avaient-ils pas écouté le disque, ces gens qui sélectionnent. Voyant la moustache la censure fût automatique.


Exceptionnel ! !   19/20
par Toitouvrant


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