Tool
Schism |
Label :
Volcano |
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La première fois qu'on tombe sur un clip de Tool, on ne s'en souvient pas.
On reste éberlué devant toutes ces images d'horreur, ces monstres déformés qui gesticulent sans but, cette ambiance froide et malsaine. Tant et si bien, qu'on n'a rien retenu. On reste en état de choc. Jamais on avait vu ça auparavant. Nulle part.
On essaye de comprendre, on s'accroche à ces visions cauchemardesques mais on perd toujours le fil. Les clips de Tool ressemblent à des courts-métrages fantastiques, aux allures lynchoïdes, remplis de symboles et d'ésotérisme.
Puis petit à petit, la musique s'installe dans les esprits et s'accommode très bien des images froides et glauques qui l'accompagnent. Lourde, puissante et intense, elle percute les esprits. De nature compliquée, elle suit des chemins tortueux, alambiqués, qui perdent l'auditeur en route, obligé de se laisser entraîner.
C'est un riff absolument génial qui introduit Schism, bien vite soutenu par une batterie souple et rampante. La voix est martiale, presque déclamatoire. Bien vite, sans qu'on s'en soit rendu compte, le rythme a changé. Pas grand-chose mais il est plus rapide. La voix aussi a accéléré de manière presque inaperçue, elle prend à la gorge. Maynard James Keenan paraît plus angoissé. Il s'énerve de temps à autre au cours d'explosions intempestives.
Puis subitement, le ton ralentit, se répète, se laisse couler. On entre dans une phase vaporeuse, psychédélique et éthérée. Des bruits bizarres viennent s'immiscer, créant une ambiance malsaine. Les repères s'estompent et on se rapproche du demi-sommeil. Maynard James Keenan chante de manière plus brumeuse.
A l'écran, on admire perplexe les péripéties d'hominidés fantastiques. Les clips de Tool, qui ne mettent jamais en scène leurs auteurs, sont de vrais films d'animation étranges et compliqués, enfants-monstre issus de l'esprit torturé d'Adam Jones, l'homme à la base du concept. Tout à coup, on est rentré dans le corps d'une créature par son oreille, détachée comme un cube de glace. C'est un thème récurent chez Tool: la nature exacte de l'être humain, son fonctionnement, ses composants. Dans "Prison Sex", déjà on ouvrait une petite poupée pour se rendre compte qu'il ne s'agissait que d'un assemblage mécanique. Dans Parabola, on dissèque avec une lame de rasoir. Ici, il n'y a que des masses rougeâtres, des veines et des matières spongieuses. Pour Tool, l'être humain n'est qu'un montage de chair. On n'est rien ou pas grand-chose alors. Un peu à l'image de cette petite créature (qui fait penser à celle de "Prison Sex"), qui semble vouloir échapper à son propre confinement.
Il y a toujours cette idée de vouloir échapper à sa condition. L'univers est toujours représenté par un cube, une enceinte fermée ("Aenima", "Prison Sex" ou les boites de "Sober") dont les frontières sont floues. Parfois c'est la dimension même de l'espace qui échappe et se modifie. Les plans de caméra se fixent sur des détails ou des recoins. La mise au point varie entre le premier plan et ceux qui sont derrières, pour ajouter au trouble. Non seulement ce sont les créatures qui vivent dans ces enceintes closes qui sont déstabilisées (on retrouve cette notion de plancher qui s'effrite et devient molle dans "Schism" mais aussi dans "Aenima") mais également le spectateur lui-même, conscient de perdre ses marques.
Tout le message est là, dans les repères. Qui les impose ? L'homme ? A moins qu'ils ne soient déjà là intrinsèquement. Dans "Schism", il est très difficile de dire dans quel espace ces créatures mi-humaines évoluent. Un coup la surface apparaît grande, un coup on suffoque de claustrophobie. Et il y a souvent un jeu de lumière, d'ombre très travaillé qui renforce cette impression d'espace distendu. Et que dire du temps lui-même, cette autre dimension qui perd tout son caractère tangible ?
La succession des plans du film se fait de manière enchaînée, fusionnant presque les images les unes aux autres, annulant ainsi la linéarité du temps.
Au sein de cet univers particulier, aux repères détournés, des créatures étranges, hybrides, s'ébattent et évoluent. S'agit-il d'humains ? On ne peut l'affirmer. Mais finalement qu'est-ce qu'un être humain ? Evidemment ils agissent bizarrement, à se secouer comme des penduliers, mais leur forme humanoïde est troublante. Et que dire, une fois de plus de leur peau qui semble laisser apparaître leurs organes par transparence ? Des créatures semblables étaient au centre du clip de "Stinkfist". Elles renvoient à la propre définition de l'homme.
Ces êtres paraissent monstrueux, pourtant elles font tout comme nous: elles bougent, rampent, se regardent, se craignent, se suspendent, se touchent, sorte d'Adam et Eve post-apocalyptique. Chacun va à la découverte du corps de l'autre. On ne comprend pas trop ce qu'ils font mais la similitude avec un homme qui découvre et s'approprie son espace est troublante.
Ils se tâtent, découvrent quelque chose qui semble émerger d'une plaie et la retirent. Il s'agit d'une algue, qui finalement se transforme en mare de sang d'où émerge une créature. C'est là que le ton s'intensifie progressivement et laisse éclater un chant majestueux, soutenu par des guitares puissantes et claires, au cours d'une apothéose de toute beauté. La musique de Tool atteint des sommets extraordinaires. Tandis que des volutes de fumée (la drogue reste un sujet récurent, comme le bras pris de secousse dans "Sober" ou les pieds qui décollent du sol dans "Stinkfist") enveloppe l'écran, le metal de Tool prend des dimensions métaphysiques.
Puis on finit par ne plus rien comprendre. Les images s'enchaînent, sans signification apparente. Ou du moins elles en ont mais on n'a pas le temps, ni les possibilités de les saisir. Ce qui rend l'ensemble délicieusement déstabilisant. La cadence s'accélère, la voix de Maynard James Keenan se fait plus mordante, serrée entre les dents, les riffs de plomb s'impose autant par leur puissance que par leur mélodie, la batterie se déchaîne, on est comme absorbé par un tourbillon (qui apparaît d'ailleurs à l'écran furtivement).
Impossible de concevoir une quelconque linéarité dans le clip à présent. On reçoit les images comme on percute des coups. On voit des petits montres sans yeux qui s'accrochent au visage comme du chiendent, des algues pousser d'un crâne, deux créatures finir par fusionner. On ne comprend plus rien. On perd le fil. Et on aboutit à une image horrible, qu'on dirait sorti d'un roman de Lovecraft: la fusion entre les deux êtres aboutit à un monstre bicéphale aux traits déformés et aux rictus ignobles. On croirait un de ces extra-terrestres de "The Thing" de John Carpenter, chimère improbable mais à l'aspect si humain que ça en devient saisissant. A partir de quand peut-on dire qu'on est humain ? Si nous ne sommes fait que de chair alors un assemblage différent de cette même chair reste un être humain. Alors pourquoi cette dernière vision nous apparaît-elle si insoutenable ?
Troublé et déstabilisé par cette succession de figures sans queue ni tête, on se laisse avaler par la fin du clip, sorte de fontaine de flammes agitée par les coups de batterie effrénés et le balancement infernal concluant la chanson.
Et renvoie l'homme devant sa principale contradiction: s'il n'est pas capable de mettre du sens quelque part, l'homme se sent perdu. Alors que le propre de la nature est justement de ne pas avoir de sens.
A ce niveau-là de réflexion, on atteint le pur génie.
On reste éberlué devant toutes ces images d'horreur, ces monstres déformés qui gesticulent sans but, cette ambiance froide et malsaine. Tant et si bien, qu'on n'a rien retenu. On reste en état de choc. Jamais on avait vu ça auparavant. Nulle part.
On essaye de comprendre, on s'accroche à ces visions cauchemardesques mais on perd toujours le fil. Les clips de Tool ressemblent à des courts-métrages fantastiques, aux allures lynchoïdes, remplis de symboles et d'ésotérisme.
Puis petit à petit, la musique s'installe dans les esprits et s'accommode très bien des images froides et glauques qui l'accompagnent. Lourde, puissante et intense, elle percute les esprits. De nature compliquée, elle suit des chemins tortueux, alambiqués, qui perdent l'auditeur en route, obligé de se laisser entraîner.
C'est un riff absolument génial qui introduit Schism, bien vite soutenu par une batterie souple et rampante. La voix est martiale, presque déclamatoire. Bien vite, sans qu'on s'en soit rendu compte, le rythme a changé. Pas grand-chose mais il est plus rapide. La voix aussi a accéléré de manière presque inaperçue, elle prend à la gorge. Maynard James Keenan paraît plus angoissé. Il s'énerve de temps à autre au cours d'explosions intempestives.
Puis subitement, le ton ralentit, se répète, se laisse couler. On entre dans une phase vaporeuse, psychédélique et éthérée. Des bruits bizarres viennent s'immiscer, créant une ambiance malsaine. Les repères s'estompent et on se rapproche du demi-sommeil. Maynard James Keenan chante de manière plus brumeuse.
A l'écran, on admire perplexe les péripéties d'hominidés fantastiques. Les clips de Tool, qui ne mettent jamais en scène leurs auteurs, sont de vrais films d'animation étranges et compliqués, enfants-monstre issus de l'esprit torturé d'Adam Jones, l'homme à la base du concept. Tout à coup, on est rentré dans le corps d'une créature par son oreille, détachée comme un cube de glace. C'est un thème récurent chez Tool: la nature exacte de l'être humain, son fonctionnement, ses composants. Dans "Prison Sex", déjà on ouvrait une petite poupée pour se rendre compte qu'il ne s'agissait que d'un assemblage mécanique. Dans Parabola, on dissèque avec une lame de rasoir. Ici, il n'y a que des masses rougeâtres, des veines et des matières spongieuses. Pour Tool, l'être humain n'est qu'un montage de chair. On n'est rien ou pas grand-chose alors. Un peu à l'image de cette petite créature (qui fait penser à celle de "Prison Sex"), qui semble vouloir échapper à son propre confinement.
Il y a toujours cette idée de vouloir échapper à sa condition. L'univers est toujours représenté par un cube, une enceinte fermée ("Aenima", "Prison Sex" ou les boites de "Sober") dont les frontières sont floues. Parfois c'est la dimension même de l'espace qui échappe et se modifie. Les plans de caméra se fixent sur des détails ou des recoins. La mise au point varie entre le premier plan et ceux qui sont derrières, pour ajouter au trouble. Non seulement ce sont les créatures qui vivent dans ces enceintes closes qui sont déstabilisées (on retrouve cette notion de plancher qui s'effrite et devient molle dans "Schism" mais aussi dans "Aenima") mais également le spectateur lui-même, conscient de perdre ses marques.
Tout le message est là, dans les repères. Qui les impose ? L'homme ? A moins qu'ils ne soient déjà là intrinsèquement. Dans "Schism", il est très difficile de dire dans quel espace ces créatures mi-humaines évoluent. Un coup la surface apparaît grande, un coup on suffoque de claustrophobie. Et il y a souvent un jeu de lumière, d'ombre très travaillé qui renforce cette impression d'espace distendu. Et que dire du temps lui-même, cette autre dimension qui perd tout son caractère tangible ?
La succession des plans du film se fait de manière enchaînée, fusionnant presque les images les unes aux autres, annulant ainsi la linéarité du temps.
Au sein de cet univers particulier, aux repères détournés, des créatures étranges, hybrides, s'ébattent et évoluent. S'agit-il d'humains ? On ne peut l'affirmer. Mais finalement qu'est-ce qu'un être humain ? Evidemment ils agissent bizarrement, à se secouer comme des penduliers, mais leur forme humanoïde est troublante. Et que dire, une fois de plus de leur peau qui semble laisser apparaître leurs organes par transparence ? Des créatures semblables étaient au centre du clip de "Stinkfist". Elles renvoient à la propre définition de l'homme.
Ces êtres paraissent monstrueux, pourtant elles font tout comme nous: elles bougent, rampent, se regardent, se craignent, se suspendent, se touchent, sorte d'Adam et Eve post-apocalyptique. Chacun va à la découverte du corps de l'autre. On ne comprend pas trop ce qu'ils font mais la similitude avec un homme qui découvre et s'approprie son espace est troublante.
Ils se tâtent, découvrent quelque chose qui semble émerger d'une plaie et la retirent. Il s'agit d'une algue, qui finalement se transforme en mare de sang d'où émerge une créature. C'est là que le ton s'intensifie progressivement et laisse éclater un chant majestueux, soutenu par des guitares puissantes et claires, au cours d'une apothéose de toute beauté. La musique de Tool atteint des sommets extraordinaires. Tandis que des volutes de fumée (la drogue reste un sujet récurent, comme le bras pris de secousse dans "Sober" ou les pieds qui décollent du sol dans "Stinkfist") enveloppe l'écran, le metal de Tool prend des dimensions métaphysiques.
Puis on finit par ne plus rien comprendre. Les images s'enchaînent, sans signification apparente. Ou du moins elles en ont mais on n'a pas le temps, ni les possibilités de les saisir. Ce qui rend l'ensemble délicieusement déstabilisant. La cadence s'accélère, la voix de Maynard James Keenan se fait plus mordante, serrée entre les dents, les riffs de plomb s'impose autant par leur puissance que par leur mélodie, la batterie se déchaîne, on est comme absorbé par un tourbillon (qui apparaît d'ailleurs à l'écran furtivement).
Impossible de concevoir une quelconque linéarité dans le clip à présent. On reçoit les images comme on percute des coups. On voit des petits montres sans yeux qui s'accrochent au visage comme du chiendent, des algues pousser d'un crâne, deux créatures finir par fusionner. On ne comprend plus rien. On perd le fil. Et on aboutit à une image horrible, qu'on dirait sorti d'un roman de Lovecraft: la fusion entre les deux êtres aboutit à un monstre bicéphale aux traits déformés et aux rictus ignobles. On croirait un de ces extra-terrestres de "The Thing" de John Carpenter, chimère improbable mais à l'aspect si humain que ça en devient saisissant. A partir de quand peut-on dire qu'on est humain ? Si nous ne sommes fait que de chair alors un assemblage différent de cette même chair reste un être humain. Alors pourquoi cette dernière vision nous apparaît-elle si insoutenable ?
Troublé et déstabilisé par cette succession de figures sans queue ni tête, on se laisse avaler par la fin du clip, sorte de fontaine de flammes agitée par les coups de batterie effrénés et le balancement infernal concluant la chanson.
Et renvoie l'homme devant sa principale contradiction: s'il n'est pas capable de mettre du sens quelque part, l'homme se sent perdu. Alors que le propre de la nature est justement de ne pas avoir de sens.
A ce niveau-là de réflexion, on atteint le pur génie.
Intemporel ! ! ! 20/20 | par Vic |
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