Sigur Rós

Toulouse [Le Bikini - Festival Les Inrockuptibles] - mardi 14 novembre 2000

C'est le père d'un ami, homme curieux de tout, qui un beau jour m'a mis entre les mains un mystérieux album bleu orné d'un foetus ailé. C'est aussi avec lui et des potes qu'on a pris la bagnole un soir pour se rendre à 150 bornes, à l'ancien Bikini, assister à l'une des premières prestations françaises de ce groupe alors quasi-inconnu.
Ce disque s'est vite placé près de Kid A de Radiohead, sorti presque au même moment, comme étant la bande son d'une phase introspective et difficile, et où j'ouvrais des portes menant à des sonorités plus expérimentales, dont je ne suis toujours pas revenu aujourd'hui. Mais je vais mieux!

Une fascination certaine était en train de naître autour de Ágætis Byrjun, disque majestueux et venu de nulle part, et j'allais voir Sigur Rós avec une appréhension fiévreuse, convaincu que j'allais entrer en contact avec avec quelque chose encore confidentiel et de l'ordre du divin.

Nous sommes massés près de la scène du Bikini, petite boîte de nuit en périphérie de Toulouse. Sur le côté est placé un écran qui diffuse des clips de Sigur Rós, dont celui de "Sven-g-englar", que je découvre avec émerveillement : un groupe d'anges trisomiques décolle au ralenti au milieu des paysages purs de l'Islande. Une sorte d'appréhension s'empare de moi, me demandant qu'es-ce que ça pourrait donner en concert (un aller simple pour le paradis??).

Bien que j'étais là avant tout pour le groupe islandais, il aurait été dommage de faire l'impasse sur les autres groupes programmés : Shawn Lee (pas mal du tout), Joseph Arthur (en solo, incroyable), et Phoenix (moarf). Les concerts, toujours trop courts se succédèrent avant l'apothéose finale.

Je me rappelle être sorti entre deux concerts prendre l'air et avoir fixé, la clope à la main, une usine située non loin de là, haute, tentaculaire. Cette usine n'était autre que l'usine AZF.

Même si j'avais écrit cette chronique à chaud, je ne pense pas que j'aurais eu beaucoup plus de souvenirs du concert qu'aujourd'hui. Une heure passée dans un état second, devant un groupe visiblement complètement dépassé par la force évocatrice de sa musique. Les violentes caresses d'archets sur les cordes d'une guitare étaient des vagues froides qui s'écrasaient sur le sable, la voix de Jonsi était une sirène ou un ange dans la tempête. J'ai été tiré de ma transe par l'évanouissement de ma soeur, qu'il a fallut porter jusqu'à la sortie, où elle retrouva vite ses esprits. Rien de grave : mélange d'hipoglycémie et de bain de foule oppressant, état peut être causé par la force émotionnelle de la musique aussi. Quand elle fut sur pied, je courais assister à la fin de ce trop court concert, où vint l'instant du dégel : batterie et guitares martelées, chaos tellurique, les forces de la nature à l'oeuvre, s'exprimant à travers les mains de petits mecs ordinaires. J'ai cru reconnaitre ce morceau à la sortie, deux ans plus tard, de "()" en écoutant la montée finale du dernier titre. Mais je ne suis toujours pas certains aujourd'hui qu'il s'agisse de celui-là.

Le groupe avait demandé ce soir là à l'organisation d'ouvrir le grand rideau se trouvant derrière la scène, laissant alors apparaître une grande baie vitrée à travers laquelle on pouvait voir les feuilles des arbres du parking.
Devant ce décor végétal, le groupe, accompagné ce soir là d'un quatuor à cordes (Amina sans doute) a fait preuve de simplicité, la musique primant sur le reste, et a installé un climat céleste qui laissa le public stupéfait.

Avant de monter dans la voiture, encore sous le choc, je toisai une dernière fois l'usine AZF, qui explosa un peu moins d'un an plus tard (quelques jours après les attentats des tours jumelles à New York), laissant derrière elle des morts, beaucoup de blessés, des dégâts matériels, des habitants des cités pauvres comme le Mirail ou la Reynerie délogés, et une bonne partie de la population traumatisée.
Les choses ont changé. Le Bikini où j'ai vu Sigur Ros en 2000 n'existe plus, lui aussi détruit par l'explosion de l'usine. Le groupe a aujourd'hui perdu une part de son charme, la sensation de nouveauté s'étant en grande partie tarie, et le rapport intime ayant été perturbé par le rabâchage en règle de la presse au sujet du groupe islandais, créant parfois un consensus irritant.

En tous points de vue, ce concert de Sigur Rós est celui d'une autre époque, et cette froide soirée de novembre, je l'ai marquée d'une pierre blanche.


Intemporel ! ! !   20/20
par Sam lowry


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