Jay Jay Johanson

Si tout concordait parfaitement à chaque fois ça deviendrait ennuyeux au bout d'un moment... [jeudi 01 octobre 2015]

Il est 18h au Zebra Square, café classe jouxtant l'imposante Maison de la Radio. Dans ce café classe un homme non-moins classe m'attend : Jay-Jay Johanson, suédois francophile, chanteur caméléon ayant flirté avec le trip-hop, l'électroclash, le jazz, adepte de la ballade tristounette pourvoyeur de larme-à-l'oeil, qui après presque vingt ans de carrière et dix albums tout pile sous le bras semble ne toujours pas vouloir prendre une seule ride. Ce soir, il jouera dans le grand bâtiment sus-cité pour une session FIP en promotion de son nouvel EP : NDE (qui a fait parler de lui grâce à ses reprises de Lana del Rey et Jamie XX), pour l'instant il m'accorde une grosse demi-heure enjouée qui me laisse entrevoir un homme passionné, affable, avide de parler de son travail, ne rechignant pas à prendre du recul sur sa carrière passée pour mieux parler de ses choix présents ; en somme un compositeur inlassable dont le cœur en vingt ans n'a visiblement jamais manqué un seul battement. Interview menée par Wazoo



W: Comment l'idée de l'EP NDE s'est-elle imposée à toi, et pourquoi ce choix de chansons ? (ndlr : une reprise de « Video Games » par Lana del Rey et « Loud Places » de Jamie XX)

Jay-Jay Johanson : Tu veux dire le concept d'EP en tant qu'objet ? Quand on a fini l'album (Opium, paru en juin), je me suis mis à beaucoup aimer l'idée d'EPs contenant plein de chansons supplémentaires, c'est une façon de se montrer généreux avec l'audience, et je voulais être généreux ! Je veux que chaque single devienne plus qu'une chanson et une vidéo, mais contiennent plutôt plein de remixes – et encore, les remixes ne sont pas suffisamment généreux pour moi – je voulais plein de bonus tracks. Du reste, je n'ai pas l'habitude de publier des reprises – je me vois avant tout comme un songwriter, je n'ai pas besoin de faire de reprises et c'est pour ça qu'on en trouve pas dans mes albums – mais pour les EPs je me suis dit que ça pourrait être cool de mettre des chansons que j'aime bien à la disposition des gens qui pourraient être curieux de m'entendre interpréter des chansons d'autres artistes. Mais ça ne finirait jamais vraiment sur un LP.

Donc tu penses ça plutôt comme une façon de compléter l'album.

Mmh pas vraiment ; on a un troisième EP qui arrive avec 4 bonus tracks, en tout ça fera bien 12 chansons supplémentaires, je voulais juste être aussi généreux que possible pour chaque single ; mais pour autant elles n'appartiennent pas vraiment à Opium, elles n'auraient rien à y faire. C'est évident qu'on aurait pu mettre plus de chansons qu'on en a mise sur Opium en termes de durée, mais celles qui sont sur l'album sont définitivement celles qui devaient s'y trouver, sans supplément. Et puis les EPs, finalement, ont leur propre petite vie !

C'est quelque chose que tu aimes faire, les reprises ?

Oui c'est fun ! On y a passé tellement peu de temps, c'est quelque chose de très rapide à faire – ça ne nous prend pas plus de 5 à 10 minutes, on n'a jamais à refaire les voix ni aucun des enregistrements, on le mixe de façon très brute. C'est un processus très rapide et amusant, très loin de prendre autant de temps qu'on en passe sur mes chansons ! Et ça peut avoir de très bons côtés, ça peut devenir quelque chose de rafraichissant et différent de ce qu'on propose habituellement. J'ai plein de reprises au chaud chez moi qu'on a fait pendant une pause café... Je veux dire il y a tellement de chansons des 50's à maintenant que j'adore, et il y en a tellement que je pourrais faire, mais je veux aussi que ça éveille la curiosité : « Pourquoi diable a-t-il choisi de reprendre cette chanson ?! » (rires)

Tu les choisis parce que tu aimes les artistes qui en sont à l'origine ?

Et bien, disons que ce n'est pas forcé que j'aime l'artiste en particulier mais plutôt que je trouve quelque chose dans la chanson qui éveille mon attention. Enfin je veux dire, j'adore le dernier Jamie XX – comme tout le monde j'ai l'impression – et ce qui est marrant c'est que j'ai enregistré ma version de "Loud Places" le lendemain de la sortie du single ; malheureusement le label a pris une paire de mois avant de faire paraître la chanson, j'aurais tellement adoré qu'elle puisse être entendue le jour d'après ! Et c'est pareil pour le morceau de Lana del Rey, ça fait bien un an et demi que ma version existe – ça tombait plus sous le sens à l'époque, mais c'était amusant quand même !

Quelque chose qui pourra être reconduit à l'avenir alors !

Oui, je compte faire plus de reprises, j'en ai déjà deux toutes prêtes. Quant au principe de l'EP oui, j'ai aimé l'expérience, je suis content qu'il existe. Il y avait une période dans les années 80 où j'adorais tellement de Maxi Singles, des 4-tracks EPs que publiaient les groupes – particulièrement les groupes indés anglais – parfois les EPs pouvaient s'avérer aussi importants que les albums et les albums n'incluaient pas ce qui se trouvait sur les EPs, c'était toujours un plaisir pour les curieux et les collectionneurs comme moi ! Et puis dans les 90's c'est très vite devenu la mode des remixes, et il paraissait ne plus y avoir vraiment d'intérêt à publier des disques de ce genre, donc les gens ont plus ou moins arrêté de concevoir de véritables EPs pour se tourner vers un mode où le single était simplement accompagné d'une vidéo et devenait la chanson que les gens devaient écouter en priorité sur l'album. Mais personnellement je suis content du format EP.

Maintenant à propos d'Opium, je me demandais comment tu avais approché la composition sur ce disque. J'ai l'impression que depuis The Long Term Physical Effects tu as petit à petit fait évoluer ton son vers quelque chose de plus... Comment dire, épuré, jazzy, acoustique ; alors qu'Opium cette année pourrait bien être ton disque le plus éclectique !

Peut-être bien oui ! Le truc c'est que je ne me suis jamais vraiment arrêté d'écrire. J'écris souvent des fragments de chansons par-ci par-là, j'ai toujours du papier et un stylo dans ma poche, parfois les idées viennent d'elles-mêmes ; quand j'en ai l'opportunité je prends le temps de m'asseoir chez moi devant mon piano et j'essaie de mettre ensemble ces fragments pour en faire des chansons... Et puis quand j'ai une chanson ou deux on commence à enregistrer des petites démos, puis quand on a quelques unes de ces démos on va dans le studio et on se met à tenter d'enregistrer des versions complètes de ces enregistrements.
Tu sais parfois c'est difficile de savoir quand est-ce que l'enregistrement d'un album est achevé ; il m'arrive de me dire que je tiens quelque chose de fini, je l'envoie une première fois au label, ils commencent à l'écouter, me dire que c'est cool etc, sauf que dans l'intervalle on a continué à enregistrer des chansons en studio ! Forcément on en arrive à se dire "tiens, on à qu'à mettre celle-ci dans l'album tant qu'on y est", et il faut bien un moment où le label nous dit qu'il faut qu'ils se mettent à établir une tracklist, mettre tout ça en forme. Donc soit, appelons ça un album, mais je continue quand même de travailler sur d'autres chansons dans le même temps, il y a une sorte de continuum, quand un album est fini l'autre est déjà en train de s'échafauder. Moi je connais exactement l'ordre de ce qu'on a enregistré en premier jusqu'à ce qu'on a enregistré en dernier, et c'est amusant car en général la dernière chanson enregistrée sur chaque album dit quelque chose du prochain à venir !
Je me rappelle très bien par exemple, quand on était en train d'enregistrer Spellbound – qui est un disque très simple et acoustique – la dernière chanson qu'on a enregistré était "Dilemma". Au début je ne voulais pas de grosses percussions, j'aimais autant que ce soit juste moi avec ma guitare acoustique, mais en même temps je ne pouvais pas m'empêcher de les mettre, ça faisait un contraste que j'appréciais beaucoup !

Et ça donnait donc un indice pour ce qui allait suivre (ndlr : Cockroach, en 2013).

Oui, c'était aussi bien un morceau de Spellbound que le véritable début de Cockroach, qui a commencé avec la même configuration de batterie. Et de même, la dernière chanson qu'on a enregistré pour Opium était "I Don't Know Much About Loving" qui était absolument la partie la plus groovy du disque ; et sans vouloir m'avancer, je pense que le prochain album sera le plus groovy que j'ai jamais fait. C'est une approche amusante car je ne me suis jamais vraiment senti groovy ! Ok, il y a eu des beats trip-hop, funk, hip-hop, du songwriting jazzy mais jamais vraiment quoi que ce soit de groovy, donc c'est curieux pour moi de m'aventurer vers cette nouvelle étape !

J'ai vu sur ta page Facebook que tu avais posté un sondage pour demander à tes fans lequel de tes albums était leur préféré. C'est quelque chose que tu fais souvent, de revenir sur ta discographie passée et de t'y arrêter ?

Non pas vraiment ! Les seules fois où je regarde en arrière c'est quand on part en tournée en fait. C'est toujours un processus intéressant : maintenant on a tellement de chansons, tellement d'albums dans lesquels on peut piocher pour la setlist. On sait que c'est impossible de faire plaisir à tout le monde, c'est impossible de tout jouer donc il faut vraiment que ce soit une sélection réfléchie. Ceci étant, j'ai toujours une idée générale, un sens de ce que doit être le concert, je l'ai dans la tête avant qu'on parte en tournée, je sais que je veux jouer ça, ça, ça et ça. Mais en même temps tout peut arriver ! Donc c'est toujours intéressant de savoir ce que pensent les gens, c'est pour ça que j'ai posé cette question à mes followers. Je sais aussi que c'est un bon déclencheur pour faire réagir les gens, je sais que ça entraînera beaucoup d'interactions parce qu'ils veulent partager leur avis. Si je me contente de poster : "voici une nouvelle vidéo pour mon single" j'aurai des "ah super !" et cetera, alors que si je leur pose une question ils peuvent répondre et je peux leur répondre à mon tour ! Bon après je ne peux pas dire que ça m'aide beaucoup parce que le résultat était plus ou moins ce à quoi je m'attendais*...

Tu t'attendais à ce que Poison soit le favori ?

Oh oui je m'attendais à ce qu'il soit le plus populaire ! C'était intéressant de voir que Long Term et Whiskey étaient quasi-exactement au même point derrière, et puis derrière il me semble – si je me souviens bien – que Opium, Spellbound, Tatoo et Antenna étaient plus ou moins au même niveau. Et ça me semblait également évident que Rush serait en dernière position. Mais en même temps peut-être que c'est un peu de ma faute, parce qu'il y a quelques bonnes chansons dessus mais je n'ai jamais vraiment joué ce disque donc les gens ne peuvent pas vraiment s'en rappeler !

Tu n'as pas fait de tournée pour Rush ?

Pas vraiment non... Ce n'était pas un disque facilement transposable en concert ; il n'était pas fait pour être chanté, joué, c'était plutôt typiquement un truc de producteur tu vois ? Et je crois que c'est une des raisons qui font que les gens n'y ont pas vraiment accroché. Mais bon il contient quand même quelques trucs que j'apprécie !

Justement, maintenant que tu es loin de cette période Antenna et Rush beaucoup plus électro/dance, qui était vraiment un virage à 180° par rapport à ton style d'alors ; avec le recul qu'est-ce que tu en retires ?

Tu sais c'est intéressant parce que ce que j'en ai retiré au final c'est que soudainement l'Amérique, la Chine, la Russie et même la Suède ainsi que d'autres pays ont découvert ma musique. Il s'est avéré que ça a ouvert les yeux d'une grande partie du public dans le monde, en même temps que j'ai perdu une partie de mon public d'alors qui était devenu fan des ambiances plus downtempo de mes trois premiers albums. Mais j'avais besoin de le faire. Ceci dit, avec le recul je pense que l'idée générale de Antenna – et pour moi 85% de ce disque est encore très très bon – était élaborée à une époque où on a fait les parties électroniques en Allemagne et les orchestres à cordes à Stockholm, et malheureusement peu après il y a eu l'arrivée de remixes, des remixes uptempo desquels les labels sont tombés amoureux, soudainement on s'est mis à recevoir des appels des Etats-Unis qui voulaient vraiment avoir plus de morceaux dans ces tons là et en faire des singles ; je me suis dit OK pourquoi pas, faisons donc ce que l'Amérique veut qu'on fasse. Mais à l'origine il était prévu de se concentrer beaucoup plus sur des pistes comme "Tomorrow" ou "Cookie", et je suis sûr que si on avait choisi ces morceaux là comme singles toute l'apparence de cet album aurait été totalement différente, cela aurait constitué une continuité bien plus logique de Poison parce que ces morceaux étaient bien plus dans l'idée de mes travaux précédents. Mais sont arrivés ces remixes – à l'origine à la radio c'étaient des ballades – que les labels adoraient... Et j'étais flatté d'entendre tant de compliments donc j'ai fait ces remixes qui sont devenus des singles. Mais bon je ne peux pas vraiment créer des chansons qui sont uptempo, je ne sais pas faire ! (rire)

Oh il y a bien "Moonshine" sur ton dernier !

Ouais mais bon c'est plutôt un truc rock ! Une session très vivante d'enregistrement studio. Mais voilà, je trouve qu'Antenna est vraiment rempli de sons intéressants. En sachant qu'à l'époque, la plupart des artistes avec lesquels j'ai grandi artistiquement – disons Björk, Goldfrapp, Radiohead – se sont tournés vers l'électronique en 2000-2001. Il y avait Kid A, le Homogenic de Björk et Goldfrapp qui s'était éloigné de son trip-hop très acoustique pour se tourner vers l'électronique. Donc c'était vraiment l'ère du temps, même si je réalise bien la surprise que ça a été pour une bonne partie de mon public à l'époque !

Et du coup, qu'est-ce que ça t'a fait de revenir plus tard au trip-hop avec Long Term ?

Pour moi le travail sur Rush avait été essentiel parce que j'ai travaillé alors avec un producteur français avec lequel j'avais toujours voulu travailler. Mais puisque le disque n'était pas du tout prévu pour engendrer une tournée j'ai embrayé directement avec l'enregistrement d'un nouvel album, et je savais que la première chose que je ferais serait de rappeler mes anciens musiciens en studio pour voir ce qu'il se passerait ! Et quand on s'est mis à faire Long Term, tout a semblé très naturel. Dans les années 90 on utilisait beaucoup de samples en outils, mais là on a tout de suite décidé de ne pas utiliser de samples pour tout jouer nous même, tout en se laissant l'espace d'improviser. C'était une sorte de nouveau départ, bien plus libre et relié à l'improvisation.

C'est vrai, Long Term laisse une impression très trip-hop, mais sans le côté bricolé, rapiécé !

Absolument, oui ! Bien moins chargé en boucle et moins monotone que mes trois premiers disques.

Je dois admettre que j'ai un faible pour celui-là, c'était mon premier choix pour ton sondage !

Je suis d'accord, c'est un de mes disques les plus importants je pense.

Tu penses avoir récupéré une partie de ton public que tu t'étais aliéné avec Antenna et Rush ?

Oui, je crois ! La tournée de Long Term en France était fabuleuse, c'était fantastique... En même temps tu sais, le dernier concert que j'avais fait en France pour Poison remontait à Novembre 2000, et puis je n'y ai pas tourné jusqu'à Long Term : je n'ai pas joué en France pendant 6 ans, c'est fou quand j'y repense ! J'avais l'habitude d'y faire plus de 100 concerts par an dans les années 90... On découvrait le reste du monde pendant ce temps là, mais ça m'a fait du bien de revenir.

Tu as l'air d'avoir une belle histoire avec la France ! Comment ça a commencé tout ça ?

Quand j'ai fait mon premier album, on l'a publié en Suède comme si de rien n'était, les labels Suédois ont envoyé le disque aux labels du reste du monde, et les premiers à répondre étaient les français pour nous dire qu'ils publieraient volontiers mon disque. Ils m'ont payé un vol pour que je vienne les rencontrer, puis les Inrocks sont venus en Suède ; oui c'est venu comme ça ! Puis sont arrivés l'Espagne et le Portugal, c'est comme ça que ma carrière a commencé, mais clairement le plus gros public a toujours été en France. Et après ça, grâce aux langues ça s'est transmis au Canada francophone puis au Brésil, en Argentine, et en Europe en général, n'oublions pas notamment la Belgique, l'Autriche, la Suisse bien sûr...

Et après toutes ces années, est-ce que tu as finalement obtenu un peu de reconnaissance en Suède, chez toi ?

Pas vraiment ! (rires) C'est sympa, c'est tout petit mais je ne veux pas que ça devienne plus gros que ça ; pour moi en termes d'audience c'est encore un des plus petits pays du monde. Je trouve que c'est très bien comme ça, je ne veux pas que ma carrière soit quelque chose qui me dérange chez moi, que les voisins se mettent à me reconnaître...

C'est une position confortable en somme.

Oh oui ! Je suppose que si jamais je devenait plus célèbre en Suède je me verrais obligé de déménager, pour pouvoir être productif et ne pas être dérangé, tout ça.

Et puisque que tu as agrandi petit à petit ton public dans le monde, est-ce qu'il y a encore des endroits dans lesquels tu aimerais tourner ?

J'ai été au Japon une fois par exemple, mais on y a jamais tourné et ça me plairait bien. J'ai aussi un grand amour pour certaines parties francophones de l'Afrique, j'aimerais beaucoup m'y produire à l'avenir. Mais à part ça on a été un partout oui, bientôt l'Afrique et le Japon !

Quel a été le premier choc musical dont tu te souviennes dans ta vie ? Quelque chose qui aurait prédit ce que tu as produit après-coup.

Le principal moment qui a dessiné les contours de mon style était un concert de Chet Baker en 1984, ça m'a changé ; ça m'a mis au jazz déjà, et ça a également changé la façon dont je composais, et aussi... Jusqu'à ce moment je m'étais toujours dit que je serais trop timide pour être un performer, un chanteur ; c'était une époque avec énormément de groupes de rock très extravertis, grosses guitares et des chanteurs vraiment très puissants qui prenaient beaucoup de place. Même si j'écrivais déjà des chanson je ne m'étais jamais dit que ce serait un job pour moi. Mais quand j'ai vu Chet Baker en live... La première chose qu'il ait faite dans son concert a été de reculer la chaise de quelques pas pour ne pas être dans la lumière : il est resté dans l'ombre et murmurait à peine, d'une manière très timide. J'étais époustouflé, je me suis immédiatement dit que c'est ça que je voulais faire, ça m'a donné le courage de vouloir être sur scène un jour. De même, mon songwriting est devenu plus jazzy dès lors. C'était un moment magique, pour sûr !

Et ton côté trip-hop est venu comment, c'était l'époque ?

Le côté cool du trip-hop c'était que... Quand mon songwriting s'est "jazzifié", c'est tout naturellement que j'ai voulu arranger ça avec un orchestre de jazz ; j'avais un petit quartet. Mais je n'étais pas du tout satisfait par le résultat, car mes chansons se sont tout de suite mises à sonner très vieilles, rétro, et je ne voulais pas sonner comme ça, j'étais trop intéressé par la musique moderne et ses nouvelles expressions. Donc je me suis débarrassé de ce quartet, j'ai commencé à me chercher et vers 1992, ou 93, Massive Attack a sorti Blue Lines avec ces beats hip-hop accompagnés de samples de musiques de films, puis Portishead est arrivé et ça c'était vraiment le coup de pied qui m'a donné envie d'arranger ma musique d'une façon similaire. J'ai donc appliqué ça à mon songwriting jazz et ça s'est imposé immédiatement comme une combinaison parfaite, de ralentir des beats de 45bpm à 33bpm, d'insérer des thèmes de James Bond etc, et chanter mes chansons jazz au dessus... Le trip-hop m'a vraiment aidé à trouver la façon dont je voulais habiller mes morceaux.

Sur tes enregistrements récents, tu trouves toujours le moyen de ménager de l'espace pour au moins un morceau très étrange ! (ça le fait beaucoup rire) Sur Cockroach c'était « Dry Bones », une reprise très bizarre d'un vieux negro spiritual ; et sur Opium pour moi c'est « Alone Too Long », que j'ai trouvé très Hitchcockienne grâce aux arrangements de cordes tout en ayant un feeling très synthétique derrière... Enfin bref je l'adore et je me demandais s'il y avait une histoire particulière derrière cette piste !

Quand j'ai écris "Alone Too Long" je sentais déjà dans le processus d'écriture qu'il y avait un feeling qui marcherait bien avec un truc dub – et je n'ai plus vraiment fait de dub depuis mon second album Tatoo – mais pour accompagner tous ces effets de jeu sur la bande audio on a utilisé une boîte à rythme – chose qu'on ne fait plus vraiment d'habitude – et puis on a pris ces espèces de boucles de voix et de claviers, ça marchait d'une façon vraiment très étrange... Ce n'était pas vraiment ce que j'avais en tête à la base mais c'était devenu très intéressant donc on a décidé de la laisser comme ça.
J'essaie de ne pas faire trop de prévisions, je ne veux pas atteindre une espèce d'idéal de perfection, j'aime bien pouvoir être surpris par ce qu'on fait parce qu'on travaille pas mal avec l'improvisation – on voit des surprises tous les jours en studio ! – et "Alone Too Long" était indéniablement une de ces surprises imprévues. Je trouve que mes albums ont besoin de ces morceaux étranges ; si tout concordait parfaitement à chaque fois ça deviendrait ennuyeux au bout d'un moment... Ce n'est pas très confortable, mais il y a besoin à mon sens de tous ces bruits, de cette disharmonie pour en faire quelque chose d'intéressant.

Autre chose, je suis également impressionné par la qualité de tes instrumentaux. Même si j'aime beaucoup le fait que d'albums en albums, d'années en années, ta voix ne semble pas vieillir et le fait que ta musique fasse tout pour embellir cette voix, je trouve intéressant qu'une piste comme "Harakiri" ici ou "Insomnia" sur Cockroach, complètement instrumentales, puissent être auto-suffisante, sans nécessiter ta voix pour exister. Est-ce que tu comptes enregistrer d'avantage de ces instrumentaux ?

On a enregistré plein d'instrumentaux pour cet album. À vrai dire au départ je pensais que la moitié de l'album serait constituée d'instrumentaux. Mais j'ai fini par changer d'avis, peut-être que je garderai tout ça pour un album instrumental à venir ! Ces idées sont venues à partir des deux Soundtracks que j'ai faites, et ça fait du bien de voir qu'à certains moments ce n'est pas l'élément principal de ma musique qui est central pour une fois, de pouvoir se concentrer sur l'espace sonore dépourvu de voix. La voix est tellement toujours présente dans mes disques, qu'elle peut faire oublier le soin apporté au reste de la musique par les instruments ; l'instrumental permet un nouveau type d'écoute. De fait j'écris aussi beaucoup d'instrumentaux, je ne peux pas m'arrêter ; d'habitude j'écris d'abord la chanson avant de me concentrer sur les instrumentaux, mais parfois il arrive que ça se passe dans l'autre sens et que je commence par la musique. Alors parfois, une fois l'instrumental complété, il arrive que je me dise qu'il faudrait mettre une voix dessus. Je préfère vraiment travailler à partir des chansons, mais si jamais ça se passe autrement il se peut que je me dise "ah ! Ça n'a rien besoin de plus, c'est parfait comme ça" et alors ça ne ferait qu'amoindrir le morceau que de mettre une voix dessus.

Bon je vais essayer de formuler correctement ma prochaine question : Euh... Malgré le fait qu'on puisse décrire la plupart de ta musique comme étant sombre, triste, mélancolique, il t'arrive de finir tes disques avec tes morceaux les plus relaxés, les plus paisibles, voire joyeux ; par exemple ici "Celebrate The Wonders" m'a fait penser à ce qu'était "Peculiar" sur Long Term ou ce qu'était "Whispering Words" sur Poison... Tu dirais plutôt que tu es pessimiste ou optimiste ? Il y a une impression de « Happy Ending » en fin de compte !

Quand je construis le disque, pour moi c'est évident que... Je veux dire, je sais très tôt dans le processus comment je veux commencer l'album. Pour moi par exemple dans mon premier disque c'était évident que je voulais commencer avec des scratchs de platine, plutôt que directement par du chant. Tatoo je savais très tôt aussi que je voulais commencer par une trompette solo, pour que les gens sachent bien que ce que je fais est inspiré par le jazz. Une fois que j'ai le début, la suite est très basée sur l'idée old-school du vinyl ; il y a une fin au milieu, puis une petite pause le temps de retourner le disque, et puis une seconde partie en forme de nouveau départ qui s'achèvera comme s'achèverait un film... Habituellement, sur mes disques, l'intensité de la narration atteint son climax près de la fin de la première moitié par exemple. Et quand l'histoire se finit, c'est souvent comme tu l'as dit par une touche positive. Je sais bien que de nos jours les gens n'écoutent plus tellement un album en entier, il y a le shuffle, ou bien ils prennent juste une ou deux chansons, mais pour moi c'est la composition de l'objet "album" qui prime. De même qu'on a une peinture complète et non des fragments... Je sais déjà comment mon onzième disque (ndlr : Opium est le dixième) va commencer, je sais exactement quel en sera le début ! Ce sera quelque chose que je n'ai jamais utilisé pour entamer aucun de mes dix précédents albums. (rires)

Et donc pour conclure ; ça fait dix-neuf ans – bientôt vingt! – depuis que tu sors des disques les uns après les autres à un rythme régulier, je trouve ta régularité impressionnante, tu ne t'es jamais senti fatigué, tu n'as jamais manqué d'inspiration ?

Pas encore non !

Quel est ton secret ?

Je ne sais pas ! (rires) Tu sais je suis constamment en train d'écrire, je ne m'arrête jamais vraiment, je crois que c'est tout ! Le rythme d'écriture ne ralentit pas, n'a jamais ralenti depuis 1992 à peu près. Je n'écris pas beaucoup de chansons ; chacune d'entre elles se retrouve sur les albums, je n'ai pas un tiroir secret duquel on pourra extraire une compilation d'inédits après ma mort. Il y a peut-être certaines démos qui sonnent différemment du résultat final mais toutes les chansons que j'écris sont celles que les gens écoutent. En gros j'écris de petits fragments de chansons tout le temps, quelques paroles, quelques mélodies, une intro par-ci par-là... Par exemple j'ai déjà une idée générale de ce à quoi ressemblera mon disque suivant, j'ai déjà commencé le processus de création. On n'aura certainement pas le temps de commencer l'enregistrement cette année, avec les tournées etc, mais j'espère qu'en automne 2016 on pourra s'y mettre. Et j'imagine qu'il sera paru en 2017 avec une durée de deux ans entre les albums ! (rires)

Réglé comme une horloge...

Comme une horloge oui ! Je serais surpris qu'il n'y ait pas un nouvel album de Jay-Jay Johanson en 2017 !


* Voilà le lien pour voir la photo postée par Jay-Jay 3 jours avant l'arrêt des votes : https://scontent-cdg2-1.xx.fbcdn.net/hphotos-xpf1/v/t1.0-9/11056643_10152370678769979_1119046043391765280_n.jpg?oh=f5a4dc1116c4183c4da39888b70d2038&oe=5691E3EF




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