Lydia Lunch

Honeymoon In Red

Honeymoon In Red

 Label :     Widowspeak 
 Sortie :    1987 
 Format :  Album / CD  K7 Audio   

Enregistré avec la collaboration des membres de The Birthday Party (R.S. Howard, Tracy Pew) et de Thurston Moore, cet album extrêmement sombre et glauque, chargé de paroles violentes, nihilistes mais parfois aussi très touchantes met inévitablement mal à l'aise du début à la fin. Comme dans tout ce qu'elle fait, Lydia Lunch est plus extrême que jamais, autant dans sa voix que dans ses paroles.

C'est donc par le très noir "Come Fall" que commence cet album plus que déroutant. Un son crade, un riff lancinant et répétitif, et c'est R. S. Howard qui entame ce tout premier morceau de sa voix grave et inquiétante, immédiatement rejoint par la voix troublante de L. Lunch: ‘I am king, I can do anything come follow'. Les paroles chantées de manière presque litanique par les deux artistes dont les voix se mélangent peu à peu, sont ensuite entrecoupées de violents coups de feu avant d'être emportées dans un tourbillon de guitares aiguisées et dissonantes. Le rythme augmente crescendo puis le silence retombe, lourd, oppressant, seulement troublé par quelques notes de basse et de guitare à peine esquissées. Enfin, les deux voix reviennent se mêler une dernière fois avant de s'éteindre ensemble, replongeant dans l'obscurité.

Une voix angélique émerge alors du silence et entame les premières paroles de "So Your Heart", mais plus on entre dans le texte, et plus elle s'étire, se brise et s'écorche: ‘The bitter winds of the last word', flottant dans une atmosphère presque irréelle créée par les sons étranges de la guitare de Th. Moore.

Avec "Dead River", on est ensuite emporté dans un endroit sinistre et glacial, tant le fond sonore est peuplé de bruits inquiétants. La voix de L. Lunch ressemble plus à des plaintes et à des gémissements qu'à un chant mélodieux, mais les paroles sont d'une beauté éclatante : sombres, délicates, poétiques et suffisamment énigmatiques pour être interprétées par chacun à sa juste manière. ‘Take the right bank of the night river / Watch the dreary soul seakers wretched / What flies by night, dies by daylight'.

"Three Kings" commence ensuite sur un rythme beaucoup plus rapide, contrastant avec la voix sombre et lente de la chanteuse qui dissèque chacun de ses mots. Le riff se répète sans cesse tout au long du morceau, devenant de plus en plus entêtant, Th. Moore y ajoute quelques décharges électriques incisives et dissonantes, de plus en plus nombreuses, amplifiant crescendo l'atmosphère étouffante de ce morceau noir et malsain. Les guitares hurlent de plus en plus, partant dans tous les sens, tandis que la chanteuse continue toujours sur le même rythme, avant que le morceau ne s'achève dans un total chaos électrique.

Vient ensuite un morceau carrément glauque, digne de figurer parmi les Murder Ballads de Nick Cave. L'intro de "Done Dun", plutôt entraînante, ne laisse rien présager de la suite, si ce n'est ces quelques paroles prononcées sur un ton désinvolte: ‘We'll go for a walk and you'll go nowhere'. L'ambiance s'obscurcit subitement, l'atmosphère se fait pesante, et une sinistre voix masculine prend le relais. Des guitares malades et hurlantes viennent se greffer sur le riff initial, entrecoupant des paroles terriblement noires.

"Still Burning", entièrement écrite et interprétée par R. S. Howard, nous plonge ensuite dans une atmosphère pesante et suffocante.

Sur "Fields Of Fire" et son riff excellent, les guitares sont plus ‘sales' et la voix de L. Lunch, bientôt rejointe par celle de R. S. Howard, se fait de plus en plus dramatique et pressante, ouvrant et refermant ce morceau par des ‘larmes de sang'.

C'est ensuite dans une déferlante de décibels crachés par des guitares acides et crasseuses qu'on entre dans le morceau le plus violent, mais aussi le plus marquant de l'album. Deux voix fantômatiques étrangement désinvoltes nous racontent l'histoire d'un homme ayant subitement perdu la raison, se mettant alors à ouvrir le feu sur la foule. Le rythme s'accélère jusqu'à devenir complètement déstructuré, et des coups de feu résonnent pendant que le batteur nous martèle la tête. Ce moment (pourtant assez court), semble ne jamais se terminer, tandis que les 2 voix répètent inlassablement ‘He's dead in the head'. Comble de la provocation, ou critique de la société qui engendre elle-même ses propres criminels, les paroles confèrent en fait un statut de victime à ce tueur qui nous est présenté comme ‘La plus triste créature jamais rencontrée, un homme insignifiant perdu dans un monde cruel'.

Et c'est par une SUPERBE reprise de "Some Velvet Morning" que se termine cet album. Ce morceau, originalement interprété par Nancy Sinatra et Lee Hazelwood pour la bande originale du film "Le Voyage De Morvern Callar", est ici mis en scène par L. Lunch et R. S. Howard. Chacun des personnages évolue d'abord dans sa propre sphère: un blues lent, sombre et grave d'un côté; une valse cristalline, pure et innocente de l'autre. Les parties, d'abord nettement séparées vont ensuite se mêler progressivement jusqu'à fusionner à la fin du morceau. Quant à l'histoire qu'ils promettent de raconter depuis le début: ‘And maybe tall you about Pheadra', on n'en saura finalement rien du tout excepté un ‘She gaves me life and she mades it end'.

Cet album mettant dans un premier temps terriblement mal à l'aise, se révèle en fait extrêmement intéressant: de part la richesse des sonorités utilisées, la profondeur des paroles (qui, bien loin de n'être qu'un concentré d'histoires morbides, s'avèrent en fait beaucoup plus subtiles que ça), l'apport de plusieurs collaborations (Th ; Moore / R. S. Howard), la symbiose parfaite entre musique et paroles, et le détachement de l'artiste par rapport aux critères du 'beau' ; Extrême dans tout ce qu'elle fait, L. Lunch ne cherche ni à plaire ni à mettre au point quelque chose d'agréable, mais à s'exprimer dans un art qui n'obéit à aucune normes, excepté les siennes. Un album qu'on ne mettra certainement pas tous les jours, mais qui mérite largement d'être écouté.


Excellent !   18/20
par Lydia


 Moyenne 17.50/20 

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Posté le 30 septembre 2008 à 12 h 27

Au recto de la pochette de l'album, la photo montre une Lydia Lunch torride et sulfureuse, transpirant le sexe et le danger - non sans un soupçon de vulgarité assumée. Blonde décolorée, rouge à lèvres éclatant, sourire carnassier, regard à la fois enjoliveur et défiant, pistolet tenu par une main dans un gant noir.
Pour Honeymoon In Red, l'égérie punk Lydia Lunch, souvent rattachée au mouvement no wave, s'entoure de complices en adéquation avec son univers : le guitariste Rowland S. Howard (ex-Birthday Party), qui chante également, et compose quelques titres, Tracy Pew (ex-Birthday Party) à la basse, Genevieve McGuckin, pianiste et organiste de These Immortal Souls (groupe de Rowland S. Howard), et divers batteurs.
La no wave a donc des racines non pas seulement new yorkaises mais également australiennes. L'album est d'ailleurs produit par Clint Ruin, pseudo de James George Thirlwell, par ailleurs leader de Foetus, groupe emblématique du genre.
Lydia Lunch et sa bande distillent la bande-son d'un court métrage à New York où sexe, drogue et meurtre ont la part belle. Un rock urbain sale, poisseux, malsain, vénéneux et sexuel. Entre garage rock, post-punk, rockabilly et rock sudiste. Joué par des musiciens qui semblent faire le choix de massacrer les chansons ou, plutôt, de les salir, de les amocher, de les pervertir. Les compositions sont bancales, comme une voiture conduite par un ivrogne, mais ne sortent jamais de la route. La production, chétive et légèrement crade, sert l'album, là où Andy Warhol avait échoué (sur la plupart des titres) pour le premier Velvet.
L'album s'ouvre par la guitare cradingue et rachitique de Rowland sur "Come Fall", chanté par lui et Lydia, rejoints par une rythmique fangeuse et une carcasse de piano. La lune de miel commence bien mal : elle est effectivement en rouge, couleur évoquant le sexe et la mort. Eros et Thanatos. Le décor est planté, le scénario avance inexorablement, servi par des acteurs incarnant la déchéance. On s'enlise, lentement mais sûrement, dans la décadence urbaine avec "So Your Heart" et "Dead Driver". Sur "Three Kings", co-écrit et co-composé par Genevieve McGuckin, Lunch prend un ton plus grave, proche du spoken word (genre dans lequel elle enregistrera plusieurs albums). Un guitariste de marque officie sur le morceau : Thurston Moore (Sonic Youth). "Done Dun", composé par Murray Mitchell (roadie de Siouxsie And The Banshees et guitariste de The Gun Club), blues sombre, glauque, mortifère et effrayant, est co-chanté par un Nick Cave plus prédateur que jamais, crédité comme "jumeau mort" de Lydia. "Still Burning" est chanté par Rowland, tout seul comme un grand. "Fields Of Fire", qui voit le retour au chant de Lydia avec Howards, est un peu plus rythmé que le reste de l'album. La note unique de piano, martelée, évoque aussi bien le "Waiting For The Man" du Velvet que le "I Wanna Be Your Dog" des Stooges. Sur "Dead In The Head", la femme fatale est accompagnée par un "drunk cowboy junkie" qui n'est autre que Nick le Caverneux. La guitare et la batterie sont particulièrement bruitistes et harassantes. Le clou du spectacle est la reprise de "Some Velvet Morning" qui clôture l'album, avec Lydia et Rowland dans le rôle de Nancy Sinatra et Lee Hazlewood. Un couple tout aussi sexy mais beaucoup plus rock'n'roll et maudit. Dans cette version délicieusement brouillonne, désossée et déjantée, le passage chanté par Lydia est sompteux : la musique ralentit, laissant brièvement place à une ritournelle ressemblant presque une boîte à musique enfantine, qui appuye le chant faussement candide et juvénile de la belle. Sur cette seule concession à la mélodie, la basse est assurée par Bary Adamson (ex-Magazine puis Nick Cave And The Bad Seeds).
Honeymoon In Red est une oeuvre fascinante mais assez difficile à écouter. L'un des meilleurs albums de la sulfureuse Lydia Lunch. Shotgun Wedding, en collaboration avec Rowland S. Howard, comme son titre l'indique (mais à l'envers dans l'ordre chronologique...), en constituera une suite plus aboutie et homogène, plus accessible aussi.
Parfait   17/20







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