Boards Of Canada

Music Has The Right To Children

Music Has The Right To Children

 Label :     Warp 
 Sortie :    vendredi 17 avril 1998 
 Format :  Album / CD  Vinyle  K7 Audio   

Voici un album sur lequel il y a beaucoup à dire ! Parmi toutes les idées et hallus que celui-ci fait fuser, ces deux-là me semblent les plus tangibles et objectivement justifiables (et les plus "lieu communisées" par les critiques).

Après une écoute de Music Has The Right To Children, le thème que l'on peut isoler avec le plus d'évidence est l'enfance. Curieusement, il s'ensuit un certain malaise. Les nombreux samples de voix enfantines contribuent, il est vrai, à répandre une chaleur vivante sur l'ensemble du disque; on imagine, sourire en coin, une bande de gosses s'étant emparés du barda électronique des Boards Of Canada et insufflant par touches, au gré de leurs facéties, des mélodies faites de candeur et de spontanéité (comme dans la jolie "Roygbiv") dans des ordinateurs stupéfaits, outrés puis finalement charmés. Mais réciproquement, c'est un peu de l'humanité de ces rires et autres "I love you" (sur "The Color Of The Fire") qui s'évapore, au contact d'une electronica tout de même précise et exigeante. Regard angoissé de l'adulte sur l'enfance, dont il enregistre les gestes, les manifestations, mais de laquelle il échoue à ressentir les principes, la substance ? La peur d'un inconnu familier en somme ?...

Si peur il y a, elle se trouve également dans une autre vision provoquée par Music Has The Right To Children: celle de la nature. Ici, pas question de paradis insulaire ni de terre bienveillante et nourricière. L'ivresse est dans notre néant. "An Eagle In Your Mind", par exemple, pose l'auditeur en témoin esseulé d'une nature aride, hostile et paralysante d'immensité. L'aigle est beau et majestueux, mais son souci premier est de goûter les entrailles du petit homme sans visage qui, sous lui, tout au fond du défilé rocailleux, cherche à fuir la noire montagne et sa propre terreur (pas de bol le portable est naze). Gare aussi aux mouettes psychédéliques aux yeux rouges du merveilleux "Happy Cycling". Souvent, ce sentiment diffus d'oppression se trouve renforcé par l'utilisation plus ou moins marquée de beats renvoyant directement au hiphop ("Sixtyten", "Aquarius"...). A défaut de faille, voila peut-être l'une des fêlures de cet album, ces beats ayant tendance à alourdir inutilement, à "hermétiser" certains titres qui de ce fait se dérobent à notre contemplation.

Je pourrais gloser encore longtemps... En fait, Music Has The Right To Children est un énorme gisement de sensations, de loin la galette la plus évocatrice que je connaisse. Alors à vot' bon cœur m'sieurs dames, ce disque ne sera jamais assez chroniqué !


Exceptionnel ! !   19/20
par Bézu


  Music Has The Right To Children a été réédité en 2004 dans un format digipack contenant en bonus "Happy cycling", tiré des Peel Sessions.


 Moyenne 19.00/20 

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Posté le 03 décembre 2005 à 01 h 26

Deuxième opus des écossais après Twoism (réédité l'année dernière), Music Has The Right To Children n'est rien moins que leur premier coup de maitre, voire un album assez culte dans le petit monde de l'ambient-electronica. Je les ai d'ailleurs découverts en écoutant cet album, et je ne saurais trop conseiller à tous ceux qui ne le connaisse pas encore de se réserver 2 petites heures à cette fin, pour l'écouter calmement, attentivement, disons 2 fois de suite. Voire 3 fois si vous étiez distraits;-)

Autant le préciser tout de suite pour ceux qui hésiteraient à tenter l'expérience: on est ici loin de toute abstraction electronico-intégriste, et l'album reste quand même bien plus accessible que d'autres représentants du genre, Autechre en tête - histoire de vous rassurer, commencez donc par Aquarius et sa basse entêtante, An Eagle in your mind et son extraordinaire dynamique, ou bien Turquoise Hexagon Sun et son clavier lumineux.

Alors certes, les qualificatifs de spectaculaire, tubesque ou péchu n'ont ici pas lieu d'être, on est pas chez les Chemical Brothers non plus. Music (...) joue dans un autre registre, celui de l'élégance, de la subtilité, de la douceur faite musique, et au final procure un peu le même effet qu'un rêve très agréable quoiqu' empreint de nostalgie, ce qui n'est quand même pas si commun.

Tout est d'ailleurs fait pour plonger l'auditeur dans un état de contemplation avancée, ces rythmiques lancinantes qui ne connaissent pas le surplace, ces mélodies murmurées du bout des claviers, ces boucles de rires enfantins qui enchantent des arrangements absolument magiques. Cette musique qui ne laissera pas vos neurones indemnes est bien un mystère pour l'esprit cartésien qui sommeille (plus ou moins) en chacun de nous, a fortiori lorsqu'il s'agit d'électro: "music is math", annoncent moqueurs nos deux écossais sur l'album suivant, Geogaddi, mais visiblement nous n'avons pas suivi les mêmes cours.
Excellent !   18/20



Posté le 04 décembre 2008 à 14 h 24

Les deux frères de Boards Of Canada ont tout compris. Depuis leur plus jeune âge ils tripatouillent tout élément émetteur d'ondes sonores et la mue s'est opérée à l'âge adulte. Car en dépit de faire de l'electro ils réinventent totalement le genre et la manière de faire et penser la musique. Surtout, cet album capte totalement l'essence de l'existence, peut-être même son évidence précède-t-elle sa présence en tant qu'objet artistique. Car si pour les behaviouristes l'émotion est un bruit qui cache les phénomènes (les cognitions et leurs intéractions dans la représentation que se fait du monde l'individu), il apparaît clairement qu'en musique le bruit peut-être magnifié, transcendé et déclencher par sa simplicité et ses nuances une avalanche d'émotions primaires intenses et fluctuantes entre notre cortex, notre échine et la pointe de nos pieds. Cela prend tout son sens à l'écoute de ce Music Has The Right To Children.

C'est une musique aérienne, artificielle, pourtant si instantanée, magique, comme décrivant la nature même des choses nous entourant et l'énergie qui lie tout un chacun à son environnement physique, social et psychologique. C'est un flux constant de bruit envahissant, enivrant, qui s'introduit directement dans l'hôte et lui fait prendre conscience du mouvement, sous forme de bruits, des pensées, de la nostalgie et du temps. Un fin filet d'éther se forme alors, glissant le long de nos oreilles.

Et puis il y a cette couleur verte, sans être totalement dotée de synesthésie, on peut admettre que la plupart des grands albums ont souvent pour coloration musicale celle de leur pochette (qui ici fait terriblement penser à celle d'un certain Loveless). Un vert végétatif, calme, organique puisque composante de la nature. Un vert rassurant, porteur d'espoir. Et aussi ce vert dérangeant, malsain, le vert diabolique du Moyen-âge, et celui qui porte la poisse au théâtre. Et puis ces visages effacés, des anonymes dont on a du mal à définir les intentions. Ils sont là, posés, nous attendent, nous scrutent.

Paradoxe d'un son si vivant et statique, qui affine ses mélodies cachées sous la discontinuité de mixtures dissonantes comme l'incohérence qui survient dans nos cognitions et crée du malaise. Et ces textures amples, malléables, riches, des couches superposées de trouvailles et d'ambiances planantes, délicates, douces qui génèrent un apaisement automatique des sens. Des souffles glacés croisant les rayons du soleil, tout entremêlé.

Le bruit se fait l'écho du silence, et mesure les mouvements intérieurs de notre esprit. C'est une énergie vitale, une pulsation, qui dépasse le simple cadre du conscient et vient chercher en nous toutes nos sensibilités, dans l'évocation d'une mémoire aliénante et déformée jonchée de réminiscences de notre enfance (décidément ces rires d'enfants ont quelque chose de très bouleversant).

On flotte et la rythmique hip-hop vient contrebalancer l'electro expérimentale et minimaliste couchée là comme un champ de coton inerte. Ville, industrie, suffocation. Contre la force de la nature, le laisser-aller qui dépasse la réflexion de l'être sur sa place ici bas. Et puis dans ces cheminements, les pistes courtes de moins d'une minute viennent apporter une cohésion à ces longues plages saisissantes qui brillent de mille éclats.

Boards Of Canada a créé son monde dans le nôtre. Une bulle ou un monde derrière le miroir des apparences. Qu'il est bon de s'y faire bercer...
Intemporel ! ! !   20/20



Posté le 15 décembre 2008 à 14 h 14

Des nuages bas et espacés projettent leur taches sombres sur les étendues nues du causse de Séverac, tandis que les monts de l'Aubrac au loin se perdent. Le beat de "Eagle In Your Mind" se perd entre les sonorités metalliques des roues du train au contact des rails. Tandis que celui ci surplombe la vallée de Marcillac ou les murs et la terre sont couleur vin rouge, mon corps s'engourdit et je perds le contrôle de mon flot de pensées. La musique devient une pulsation venant de ce corps apaisé, à moins que ne ce soit la musique de ce paysage que mes yeux fermés devinent seulement à présent. Combien de temps a passé? Le temps de quelques titres et mes yeux s'ouvrent sur les vallées encaissées. Le ciel s'est assombri, un temps idéal pour admirer la région minière désafectée de Decazeville, où la végétation renonce obstinément de pousser sur les flancs des collines, tuée il y a plus de quarante ans par les fumées de charbon. Ces beats hip hop battent mes tempes. Je suis à des années lumière de ce que je vois et sensible à la moindre vibration. L'hiver tombe sur ce paysage morne, et la musique rend l'instant chargé de sens cachés se dérobant sans cesse.
Alors que j'arrive dans la grande gare de Capdenac, les mouettes de "Happy Cycling" sont enfermées dans les architectures de métal rouillé.
Music Has The Right To Children, ou l'art de l'économie et de la suggestion. Samples de voix fantômatiques, beats amniotiques, percées d'air pur, abstraction et chaleur. Ce disque est la musique du corps au contact de l'espace, il est là n'importe où, suggère ce que je veux. Il ressemble à une grande équation informulable, à la terre vue de loin. Transcendant.
Exceptionnel ! !   19/20







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