Stereolab

Paris [La Gaîté Lyrique] - mercredi 26 octobre 2022

Je ne m'attendais pas à me trouver en terrain familier en allant voir Stereolab : même si j'aime beaucoup leur musique, notamment la coloration shoegaze de leurs débuts, j'ai perdu le contact avec leur fan-club parisien quand j'ai arrêté de fréquenter le Motel, l'un des temples de l'indie-pop dans la capitale, il y a une dizaine d'années. Autant dire dire que j'aurai aperçu un paquet de fantômes et quelques vieilles connaissances avant la fin de la soirée.
J'arrive pendant la première partie, une chanteuse du nom de Nina Savary. Au bout de 45 secondes, je suis déjà mort d'ennui : sa chanson pop jazzy et son chant maniéré en mode Michel Legrand semblent calibrés pour la playlist France Inter - et pas la partie que j'aime bien. Son sérieux de normalienne me donne envie de fuir, ce que je finis par faire. Sauf que lorsqu'un concert est complet à la Gaîté lyrique, le hall s'organise vite en une collection de files d'attente : une très longue devant le merch', derrière laquelle j'imagine Lætitia Sadier en train de signer des sous-bocks Stereolab, et plusieurs de longueur variable pour les différents bars. N'aimant pas boire seul, contrairement à certaines rumeurs que j'ai complaisamment laissé se répandre sur ce site pour cultiver mon image rock'n'roll, je me pose dans un coin et j'observe la foule en tentant de faire abstraction du discret fond sonore qui s'échappe de la salle de concert. La première partie se termine rapidement et dès que le flot des buveurs a quitté la salle, je m'y faufile pour me placer pas trop loin de la scène et observer les préparatifs.

La salle se remplit progressivement, mais la densité reste raisonnable sur le côté droit de la fosse où je me suis positionné. Lorsque les lumières s'éteignent, on distingue les silhouettes des musiciens gagner leurs places dans la pénombre : ce n'est pas la dernière facétie de la soirée pour l'éclairagiste, qui sera rappelé à l'ordre une ou deux fois par le groupe. La première chose qui me frappe est l'énorme vide au milieu de la scène : Tim Gane le guitariste est tout à gauche devant la batterie, Lætitia Sadier la chanteuse tout à droite, et le clavier et le bassiste au fond. Visiblement, personne n'a envie de prendre la lumière. C'est Lætitia qui assure la communication avec un public conquis d'avance, autant par la musique du groupe que par la figure de sa chanteuse, prototype de la française ayant réussi à Londres sans rien renier de son exigence artistique et intellectuelle. Le petit groupe de fans féminines qui s'est posé à côté de moi (pour ne pas dire contre moi) en est l'illustration, braillant des "Lætitia !" Et dansant comme des damnées dès qu'un morceau démarre.
Cette ambiance ne m'aide pas à me concentrer sur les premiers morceaux, d'autant qu'ils représentent la partie "exotique" du répertoire du groupe, d'inspiration latin-jazz, qui n'est pas ma préférée. Je suis également perturbé par la grande timidité de Lætitia, qui ne m'avait pas marqué lorsque j'avais découvert la chanteuse en solo en première partie de Neutral Milk Hotel il y a quelques années. Elle semble écrasée par la ferveur du public et refuse ostensiblement le rôle de leader que les circonstances lui ont attribué : dès qu'elle ne chante pas et qu'elle ne joue pas de la guitare ou du clavier, elle se recule sur le côté devant son ampli, et attend le dernier moment pour revenir au micro. Ses premières interventions entre les morceaux sont empruntées, et comportent parfois des références intellectuelles pas toujours faciles à saisir : "C'était un hommage à Casto. Non, pas Castorama, Castoriadis." "La prochaine est une chanson sur le mirage du matérialisme." "Cette chanson est inspirée par le film Lune froide. Vous connaissez ? Oui, de Patrick Bouchitey." Si je ne suis pas un familier de l'œuvre du philosophe franco-grec, j'ai découvert par hasard il y a trente ans, en clôture d'une nuit du cinéma rock au centre culturel de Dieppe, le film crépusculaire de Patrick Bouchitey, adapté de deux nouvelles de Bukowski, dans lequel deux poivrots (joués par Bouchitey et Stévenin) se livrent notamment à la nécrophilie. Car si la stature, le look et la voix de Lætitia évoquent plutôt une chanteuse de jazz qu'une Kim Gordon, son univers de pensée, lui, est assez rock'n'roll, et bien marqué à gauche. C'est d'ailleurs de sa main gauche qu'elle gratte sa Stratocaster de droitier, comme une manifestation de sa liberté d'agir et de casser les codes. Le groupe ne cherche pourtant pas spécialement à mettre en relief les paroles : les voix se mélangent aux instruments comme des sons supplémentaires, et seuls quelques mots ressortent, en français ou en anglais.

Une fois passée la mise en place, le groupe sort l'artillerie lourde avec des morceaux plus linéaires et plus rock ("Mountain", "Harmonium") et m'embarque définitivement dans la transe. Les cinq musiciens ne sont pas plus expansifs, mais leur musique parle pour eux. Et si leur son est plus métallique et criard que celui de la plupart de leurs contemporains, la magie opère tout de même. Le rappel sera royal, avec notamment un "French Disko" d'anthologie qui finira d'hystériser un public déjà conquis. Lætitia en profitera pour signaler l'ajout d'une date en novembre prochain dans cette même salle, visiblement émue par l'accueil quantitatif et qualitatif qui aura été fait au groupe. Pour ma part, je ne vais probablement pas assister à ce second concert, mais je vais continuer d'explorer la discographie impressionnante et très variée de ce groupe atypique, dont une partie a été remasterisée et rééditée en 2018, lorsque le groupe s'est reformé. Pour mon plus grand bonheur.


Très bon   16/20
par Myfriendgoo


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