La Route Du Rock

Saint-Malo [Fort De Saint-Père] - dimanche 20 août 2017

La Route Du Rock
C'est déjà la dernière soirée de l'édition 2017 de La Route du rock, la plus intense que j'aie jamais connue. Le programme du jour étant encore copieux, je rassemble toute ma volonté pour m'enfuir de l'appartement au tout début de l'apéro. Manque de bol, plusieurs plaisanciers ont choisi ce moment pour sortir du port et la passerelle reliant intra-muros au point de départ des navettes commence à se lever au moment où je l'atteins. Résultat des courses : je me fais rattraper puis déborder par une centaine de festivaliers et me retrouve en bien mauvaise posture dans la file d'attente.
J'arrive finalement dans le Fort un quart d'heure après le début du concert de The Proper Ornaments, ma découverte d'avant-festival : un quatuor anglais emmené par un gars de Veronica Falls et un de Toy, et qui a sorti cette année un petit bijou pop entre Teenage Fanclub et Elliott Smith, après en avoir sorti un premier au moins aussi bon en 2014. Je finis par ravaler ma colère et par me laisser embarquer par la musique envoûtante de ce curieux attelage, dans lequel un hurluberlu bouclé sorti de la scène twee-pop côtoie un post-hippie looké comme un Jim Morrison de carte postale avec le jean noir, la veste de treillis impeccable et les cheveux mi-longs avec la frange qui va bien. Pourtant, cette curiosité visuelle ne transparaît pas dans leur musique, parfaitement harmonieuse sans être le moins du monde mollassonne. Avec un jeu de scène minimaliste, le groupe arrive à enchanter un auditoire encore réduit à l'heure de l'apéro. À revoir absolument lors de leur prochain passage dans une petite salle parisienne.

Après ces anglais minimalistes, le set de l'envoûtante Angel Olsen apparaît bien ampoulé. Entourée comme à Porto de son orchestre en costard gris, la belle américaine s'est cette fois déguisée en Tina Turner, avec d'énormes lunettes aux verres fumés orange et une combinaison bouffante couleur pêche. Certes, je suis moins concentré que lors de son passage à Porto, mais même ses morceaux les plus nerveux semblent enlisés dans des orchestrations lourdingues. Je perds le fil assez vite et m'enfuis vers le bar, puis vais me placer devant la petite scène en prévision du concert de Yak. Quand les trois anglais débarquent sur scène, la foule est déjà électrisée et prête pour un pogo d'anthologie. À mon soulagement, celui-ci se déroule de l'autre côté de la fosse, devant le chanteur-guitariste Oliver Burslem qui a l'habitude de sauter dans le public. Leur set est rock'n'roll, et du brutal. Les gens qui ne les ont jamais vus sont conquis par ce power-trio de faux hippies, mais je reste un peu sur ma faim musicalement par rapport à leur dernière performance à la Maroquinerie : leur leader passe plus de temps à enchaîner les clichés qu'à jouer ses morceaux, et je ne retrouve pas les virtuoses qui avaient réussi à caser une puissante reprise de King Crimson dans un concert punk. S'ils n'y prennent pas garde, ces fabuleux musiciens et showmen pourraient bien finir par verser dans la caricature.

Le dernier volet de cette séquence d'allers-retours entre la petite et la grande scène, Mac DeMarco, est musicalement aux antipodes du trio d'anglais. Mais si sa folk-pop tropicale pépère est agréable après une journée de taf en pleine canicule, elle me branche moins en festival. Pourtant, l'Américain est un excellent showman et parvient sans difficulté à électriser son parterre de fans, mais je n'arrive pas à m'y intéresser et je profite du moment pour redécouvrir une institution bretonne : la galette-saucisse de festoche. J'en profite également pour aller faire un tour à l'espace labels et découvrir un aspect moins reluisant de la Route du rock : non seulement ces labels indépendants, souvent amateurs ou semi-pros, paient pour un bout de table dans cette tente planquée derrière le bar, mais en plus leur redevance a doublé cette année. En gros, on a ponctionné les petits labels pour aider à payer PJ Harvey et Interpol. Drôle d'époque.

Heureusement pour vous, chers lecteurs qui avez supporté ma prose jusque-là, le consommateur compulsif de rock reprend rapidement le dessus et me voilà de nouveau devant la grande scène pour attendre l'arrivée des stars de la soirée. C'est un petit événement qui se prépare : le concert d'Interpol à la Route du rock 2002 avait contribué à les révéler au public français, et ils n'étaient pas revenus au Fort depuis. Qui plus est, ils doivent nous jouer l'intégralité de Turn On The Bright Lights, leur insurpassable premier album, qui leur colle aux pattes depuis quinze ans. Ils commencent leur concert par un best-of des quatre albums suivants, qui comportent tout de même un paquet de morceaux de bravoure, comme "Slow Hands" ou "All The Rage Back Home", l'une des rares tueries de leur dernière production en date. Dès l'entame, je suis surpris par la voix chevrotante de Paul Banks, plus proche de Bugs Bunny que de Ian Curtis. Cela n'empêche pas le groupe de faire un concert de haute tenue : les historiques assurent toujours autant, avec un Daniel Kessler toujours aussi classe à la guitare et un Sam Fogarino derrière les fûts dont je découvre au fil des morceaux du premier album l'importance de la contribution ; les substitutes font le taf également, notamment le bassiste qui s'approprie les sublimes lignes de Carlos Dengler avec beaucoup d'aisance. Un dernier pour la route (du rock) et les New-yorkais s'éclipsent après une prestation d'une heure et quart, probablement la plus belle des trois que j'ai vues d'eux.

Après ça, difficile de se reconcentrer, et c'est The Moonlandingz qui en fait les frais. J'avais pourtant bien aimé l'an dernier, à peu près au même moment, la prestation de Fat White Family, l'autre groupe de Lias Saoudi et Saul Adamczewski, mais là, je regarde distraitement leur concert sur l'écran géant, incapable de me concentrer sur le spectacle rock psyché barjot qu'ils produisent sur la petite scène. J'essaie juste de me remettre et de rassembler le peu de force qui me reste pour le concert de Ty Segall, qui fait la balance sur la grande scène après avoir installé lui-même son matos, affublé comme ses acolytes d'une sorte de K-way rouge des plus élégants. Ça s'annonce bien cool, bien rock'n'roll, comme à l'accoutumée avec le blondinet californien et son bassiste fétiche Mikal Cronin. Pourtant, quand le groupe d'en face s'arrête de jouer, que les fans des deux groupes traversent le fort en courant histoire ne pas en louper une miette, et que le quintet revient sur scène pour envoyer la purée, je ne suis qu'à moitié là. Tout à coup, ces solos de guitare interminables, ces tricotages de basse très (trop) seventies me fatiguent, malgré l'énergie incroyable qui se dégage du groupe. Mes esgourdes fatiguées reconnaissent à peine les morceaux et même si je me motive pour continuer à secouer la tête, à crier et à applaudir, je suis presque soulagé quand ça se termine. Le responsable de mes concerts préférés de 2015 (à la Cigale) et 2016 (au Cabaret sauvage) a réussi à me lasser. Je souris quand même lorsque débarque sur scène un gars de l'équipe, dont c'est l'anniversaire, et que le gars en question ouvre une bouteille de champagne et asperge le groupe. Il se dégage toujours de cette bande de potes un feeling festif et convivial qui me donne envie de les revoir, mais là, j'ai juste envie de me téléporter dans mon lit.

Vous l'aurez compris, je n'ai même pas envisagé une seconde d'aller jeter une oreille au dernier concert de cette édition, celui du duo électro Tale Of Us. Cette programmation 2017 aura été tellement riche qu'elle aura fini par me blaser. Trop de bons concerts à la suite. Peut-être que je suis trop vieux pour les festivals en plein air, avec leur lot de jeunes bretons bourrés, de mauvais coucheurs, de files d'attente dans la poussière ou la boue pour la navette, la bouffe, la bière ou les chiottes. En attendant, j'ai vu des concerts que ça m'aurait franchement emmerdé de rater et rien que pour ça, merci La Route du rock.


Excellent !   18/20
par Myfriendgoo


  Photos par François Medaerts


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