John Fahey
Blind Joe Death |
Label :
Takoma |
||||
Écouter Blind Joe Death, c'est assister à la naissance d'une légende. Celle d'un bonhomme autodidacte qui paraissait révolutionner tous les styles qu'il touchait de près ou de loin : le blues, la folk, la country, le raga, la guitare espagnole, j'en passe, emmenant les traditionnels "old-time" dans des territoires encore inexplorés. Un type si énorme qu'aujourd'hui encore chaque guitariste acoustique a la malchance de subir une inévitable comparaison de style par une presse musicale qui ne s'est jamais remise de son traumatisme. Cet homme là a un nom, non pas Blind Joe Death comme il aimait le faire croire, mais John Fahey, et c'est ici que commence son histoire.
L'histoire de Fahey est celle d'un fana de bluegrass et de country qui un jour s'est pris une baffe en pleine tronche, une baffe qui portait le nom de Blind Willie Johnson. Soudainement le John, qui venait tout juste de s'acheter sa première guitare et qui souffrait de collectionnite aiguë, venait de se convertir à ce qui resterait sa religion jusqu'à son trépas en 2001 : le blues. Fahey avait alors 13 ans. Ainsi, il passa les 7 années qui suivirent à développer un style de guitare mélangeant le fingerpicking blues à des sonorités plus contemporaines n'excluant pas la dissonance de l'équation (en bon éclectique il était grand amateur de compositeurs classiques contemporains tels Charles Ives ou Bartòk), en une pâte inédite qu'il finira par nommer lui-même American Primitivism, soulignant sa démarche en rendant hommage aux peintres autodidactes "French Primitivists".
Après une brève session d'enregistrement en 58 pour le label Fonotone et qui ne seront rendues publiques qu'en 2011, le guitariste entame enfin l'enregistrement autoproduit et autofinancé de son tout premier album. Sur l'avant de la pochette on peut voir marquées en gros caractères noirs sur fond blanc le nom BLIND JOE DEATH. Au dos, JOHN FAHEY. Personnage imaginaire créé dans le but avoué de faire croire à l'existence d'un vieux bluesman noir et aveugle (beaucoup à l'époque se seront fait avoir par la supercherie), Blind Joe Death était décrit comme ayant enregistré la face A, tandis que le jeune blanc-bec John Fahey, 20 ans à cette heure, avait enregistré la face B. John aura entretenu le mythe de Blind Joe Death pendant des années, via ses célèbres notes de pochette, allant parfois jusqu'à se produire sur scène avec des lunettes noires fumées et se faire accompagner jusqu'à sa chaise en feignant la cécité.
Quant à la musique elle-même, que reste-t-il concrètement d'un si vieux disque produit sans label avec les moyens du bord ? Et bien à ma plus grande surprise la force de ces enregistrements est demeurée intacte, plus de 55 ans après. Si on est encore loin des travaux les plus accomplis et les plus influents du maître de la 6 cordes, force est de constater que les esprits qu'il convoque pour sa musique hantée, eux, sont déjà présents. De fait, chaque défaut apparent du disque peut être astucieusement retourné en avantage. La qualité d'enregistrement est plus qu'approximative, ça grésille et ça souffle en fond ? Oui, mais cette rugosité du son confère d'autant plus de puissance aux compositions encore simples mais déjà percutantes du guitariste : les notes basses notamment, que Fahey joue avec son pouce, offrent un rendu sacrément costaud, très métallique, qu'on ne retrouvera pas forcément dès lors qu'on confiera un studio au bonhomme. Dans l'idée, écoutez cette version de "John Henry" et sa partie basse monolithique qui fait vraiment son petit effet – c'est à peine si on prend conscience de la mélodie sus-jacente. Les compositions sont sommaires par rapport à la suite de son œuvre ? Tant mieux, cette simplicité et ce dépouillement permettent de mettre en valeur les pièces les plus mélodiques et les plus dénuées d'arrangements du lot. Comme "In Christ There Is No East or West", traditionnel qui m'aura pris par surprise et m'aura amené au bord des larmes – aucune version ultérieure de ce morceau par Fahey lui-même n'aura su me procurer le même effet que celle-ci. De toute manière à cette époque, Fahey ne maîtrise pas encore vraiment les morceaux de bravoure, en témoigne le brouillon et inégal "The Transcendental Waterfall" qui s'égare un poil en chemin et pêche par son aspect fragmenté. En somme, si on peut légitimement affirmer que John Fahey n'en est qu'à ses premiers tâtonnements, et qu'à ce titre la plupart de ces morceaux seront repris et retravaillés ultérieurement dans des versions bien plus accomplies, ce premier essai possède un charme unique et une âme propre (pour vous en convaincre, farcissez vous l'enchainement "Sun Gonna Shine in My Back Door Someday Blues" et surtout "Sligo River Blues").
Une fois mis en boîte, ce Blind Joe Death fut pressé à 100 exemplaires par Fahey qui utilisa son salaire de pompiste. Certains furent endommagés par la livraison, d'autres furent donnés à des amis ; le reste John tenta de le vendre par ses propres moyens. On pourrait s'étendre sur encore bien des lignes à propos de l'héritage et de l'importance historique de ce disque – un des premiers artistes underground et indépendants, un des rares à autoproduire un disque ; fervent guerrier et explorateur du blues en 1959, époque où le rock'n'roll explosait de tous les côtés ; créateur d'un style particulier de guitare que personne n'avait jamais entendu à l'époque, et encore sans même prendre en compte le fait que personne ne s'amusait à composer un disque de guitare seule, j'en passe – mais voilà que l'année 59 déjà s'achève ; John Fahey qui entre tout juste à l'université va passer 4 ans sans publier le moindre témoignage sonore.
C'est pas pour spoiler, mais quand il reviendra, ce sera plus talentueux que jamais, avec déjà un quasi chef-d'oeuvre sous le bras. Mais ceci est une autre histoire...
L'histoire de Fahey est celle d'un fana de bluegrass et de country qui un jour s'est pris une baffe en pleine tronche, une baffe qui portait le nom de Blind Willie Johnson. Soudainement le John, qui venait tout juste de s'acheter sa première guitare et qui souffrait de collectionnite aiguë, venait de se convertir à ce qui resterait sa religion jusqu'à son trépas en 2001 : le blues. Fahey avait alors 13 ans. Ainsi, il passa les 7 années qui suivirent à développer un style de guitare mélangeant le fingerpicking blues à des sonorités plus contemporaines n'excluant pas la dissonance de l'équation (en bon éclectique il était grand amateur de compositeurs classiques contemporains tels Charles Ives ou Bartòk), en une pâte inédite qu'il finira par nommer lui-même American Primitivism, soulignant sa démarche en rendant hommage aux peintres autodidactes "French Primitivists".
Après une brève session d'enregistrement en 58 pour le label Fonotone et qui ne seront rendues publiques qu'en 2011, le guitariste entame enfin l'enregistrement autoproduit et autofinancé de son tout premier album. Sur l'avant de la pochette on peut voir marquées en gros caractères noirs sur fond blanc le nom BLIND JOE DEATH. Au dos, JOHN FAHEY. Personnage imaginaire créé dans le but avoué de faire croire à l'existence d'un vieux bluesman noir et aveugle (beaucoup à l'époque se seront fait avoir par la supercherie), Blind Joe Death était décrit comme ayant enregistré la face A, tandis que le jeune blanc-bec John Fahey, 20 ans à cette heure, avait enregistré la face B. John aura entretenu le mythe de Blind Joe Death pendant des années, via ses célèbres notes de pochette, allant parfois jusqu'à se produire sur scène avec des lunettes noires fumées et se faire accompagner jusqu'à sa chaise en feignant la cécité.
Quant à la musique elle-même, que reste-t-il concrètement d'un si vieux disque produit sans label avec les moyens du bord ? Et bien à ma plus grande surprise la force de ces enregistrements est demeurée intacte, plus de 55 ans après. Si on est encore loin des travaux les plus accomplis et les plus influents du maître de la 6 cordes, force est de constater que les esprits qu'il convoque pour sa musique hantée, eux, sont déjà présents. De fait, chaque défaut apparent du disque peut être astucieusement retourné en avantage. La qualité d'enregistrement est plus qu'approximative, ça grésille et ça souffle en fond ? Oui, mais cette rugosité du son confère d'autant plus de puissance aux compositions encore simples mais déjà percutantes du guitariste : les notes basses notamment, que Fahey joue avec son pouce, offrent un rendu sacrément costaud, très métallique, qu'on ne retrouvera pas forcément dès lors qu'on confiera un studio au bonhomme. Dans l'idée, écoutez cette version de "John Henry" et sa partie basse monolithique qui fait vraiment son petit effet – c'est à peine si on prend conscience de la mélodie sus-jacente. Les compositions sont sommaires par rapport à la suite de son œuvre ? Tant mieux, cette simplicité et ce dépouillement permettent de mettre en valeur les pièces les plus mélodiques et les plus dénuées d'arrangements du lot. Comme "In Christ There Is No East or West", traditionnel qui m'aura pris par surprise et m'aura amené au bord des larmes – aucune version ultérieure de ce morceau par Fahey lui-même n'aura su me procurer le même effet que celle-ci. De toute manière à cette époque, Fahey ne maîtrise pas encore vraiment les morceaux de bravoure, en témoigne le brouillon et inégal "The Transcendental Waterfall" qui s'égare un poil en chemin et pêche par son aspect fragmenté. En somme, si on peut légitimement affirmer que John Fahey n'en est qu'à ses premiers tâtonnements, et qu'à ce titre la plupart de ces morceaux seront repris et retravaillés ultérieurement dans des versions bien plus accomplies, ce premier essai possède un charme unique et une âme propre (pour vous en convaincre, farcissez vous l'enchainement "Sun Gonna Shine in My Back Door Someday Blues" et surtout "Sligo River Blues").
Une fois mis en boîte, ce Blind Joe Death fut pressé à 100 exemplaires par Fahey qui utilisa son salaire de pompiste. Certains furent endommagés par la livraison, d'autres furent donnés à des amis ; le reste John tenta de le vendre par ses propres moyens. On pourrait s'étendre sur encore bien des lignes à propos de l'héritage et de l'importance historique de ce disque – un des premiers artistes underground et indépendants, un des rares à autoproduire un disque ; fervent guerrier et explorateur du blues en 1959, époque où le rock'n'roll explosait de tous les côtés ; créateur d'un style particulier de guitare que personne n'avait jamais entendu à l'époque, et encore sans même prendre en compte le fait que personne ne s'amusait à composer un disque de guitare seule, j'en passe – mais voilà que l'année 59 déjà s'achève ; John Fahey qui entre tout juste à l'université va passer 4 ans sans publier le moindre témoignage sonore.
C'est pas pour spoiler, mais quand il reviendra, ce sera plus talentueux que jamais, avec déjà un quasi chef-d'oeuvre sous le bras. Mais ceci est une autre histoire...
Bon 15/20 | par X_Wazoo |
NB : Fahey avait tellement conscience de l'évolution drastique de sa technique sur une réédition de 1967, il réinterpréta et ré-enregistra la totalité des morceaux de Blind Joe Death. La différence est en effet flagrante, les doigts sont bien plus agiles et la qualité sonore met en valeur des arrangements bien plus luxuriants. Pour se rendre compte du changement, on se procurera la réédition finale de 1996 nommée The Legend of Blind Joe Death qui propose à la fois les originaux de 1959 et les réinterprétations.
En ligne
243 invités et 0 membre
Au hasard Balthazar
Sondages