Sun Kil Moon

Paris [Divan Du Monde] - lundi 22 février 2016

Un concert de Sun Kil Moon, c'est comme retrouver un vieux pote adoré, mais bavard et caractériel. Au début, vous marchez sur des œufs, vous demandant s'il ne vas pas vous coller un coup de boule ou se barrer sans prévenir au bout de dix minutes. Votre anxiété s'accroît quand vous apprenez une heure avant le concert que c'est la pleine lune.

Après une première partie toute en douceur de My Name is Nobody, un petit frenchie tout seul sur scène avec une guitare baryton, marquée par une reprise plutôt chouette du très beau "I'll be Around" de Yo la Tengo, un premier drame se prépare : le micro chant de Mark Kozelek, sans doute inquiet de ce qui l'attend, s'est mis en mode autruche et pointe délibérément vers le sol. Stupeur de Mark à son entrée en scène, suivie d'une tirade mi-agressive, mi-ironique vis-à-vis du staff. Puis il tente d'arracher le portable d'un spectateur du premier rang qui essayait de prendre une photo, avant de faire un sermon à une photographe située dans la fosse, juste à côté : " my work, my rules : no photos ". On l'a compris, c'est bien à un concert de Sun Kil Moon qu'on va assister.
Mark parle beaucoup, entre les morceaux et pendant les morceaux, au point qu'on a parfois l'impression d'assister à un spectacle de slam.
Bien entendu, il part du principe que si on est venu le voir, c'est qu'on est anglophone, et s'il fait beaucoup d'allusions au fait qu'il est très ému de jouer à Paris après ce qui s'est passé le 13 novembre, il n'a pas l'air de réaliser que l'anglais n'est pas la langue officielle de cette ville (quoique).
Une fois que vous vous êtes réhabitué à tous les traits de caractère du bonhomme, vous pouvez commencer à apprécier la performance.
Car c'est bien d'une performance qu'il s'agit : deux heures et demi à tenir en haleine le public sans aucun signe de lassitude d'un côté comme de l'autre, accompagné de trois musiciens endurants et aguerris : Justin Broadrick aka Jesu, ex-Godflesh, maître des ambiances avec son incroyable guitare à huit cordes, capable de sortir quasi simultanément des power chords en infra-basses et des arpèges aériens ; Steve Shelley l'endurant batteur "from Sonic Youth, man ! Daydream Nation !" (et Mark de se lancer dans un début de reprise de Teenage Riot a capella, après avoir évoqué longuement son amour pour ce groupe et sa chance de jouer avec un tel batteur) ; et enfin ce canadien moins prestigieux mais qui assure avec brio la guitare rythmique (avec un son de basse), et double les voix sur certains passages. L'ensemble est parfois acrobatique, tant Mark peut être difficile à suivre, mais parvient à restituer, voire à transcender les morceaux d'un album de très bonne facture mais difficile d'accès - comme la plupart des albums de Sun Kil Moon. Les morceaux les plus agressifs bénéficient de la puissance vocale et de la présence physique de Mark, qui se découvre sur le tard des talents de brailleur post-hardcore.
Mais le moment le plus émouvant est cet hommage aux victimes du 13 novembre, dont le support est "Exodus", une lamentation sublime dédiée à l'origine à Nick Cave, qui a perdu son fils de quinze ans en juillet dernier. Les choeurs finaux, assurés sur le disque par deux voix de Low et une de Slowdive (rien que ça), sont ici chantés par le public, à la demande - insistante - de Mark. Il va même jusqu'à organiser une petite répétition avant de commencer le morceau, qui dure près de dix minutes sur l'album. Le speech qui suit a des petits côtés bisounours (" si vous croisez quelqu'un qui pleure dans la rue, ne le laissez pas tout seul, dépassez vos peurs et créez du lien "), mais Mark Kozelek, c'est de la chronique " caméra sur l'épaule " : on vit les choses, on les ressent, on les exprime et on y réfléchira plus tard, en rentrant chez soi. Et pour le coup, son vécu des attentats depuis l'autre côté de l'Atlantique, où les fusillades sont devenues un rituel dans l'actualité, est touchant.

Après un rappel copieux composé notamment du poignant " Richard Ramirez died today of natural causes ", issu de l'album Benji et boosté ici par la guitare de Justin Broadrick, il nous quitte à regrets, en nous promettant de revenir d'ici la fin de l'année, ou peut-être l'année prochaine. On l'attend avec impatience, mais toujours avec une petite appréhension sur le scénario de sa prochaine apparition.


Excellent !   18/20
par Myfriendgoo


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