Jeroen Diepenmaat

Je vois les sons et les disques comme du matériel. Pour faire de nouveaux sons tu dois d'abord découper tes disques favoris. [vendredi 20 janvier 2017]

Collectionneurs matérialistes gare à vos miches ! Jeroen Diepenmaat est selon ses propres mot un "Visual artist with a preference for sound". Un sculpteur plasticien qui prend comme matériau des vinyles divers et variés qu'il découpe *gloups* et recolle pour faire naître des paysages sonores impossibles. La Hollande c'est loin, et vu son dispositif live encombrant il paraissait difficile d'aller sur les terres de l'artiste pour lui coller un micro sous le nez (de toute manière il aurait été capable de kidnapper l'enregistrement pour en faire un collage, ce saligaud), ce pourquoi la rencontre et les échanges se firent par mail. L'occasion de découvrir l'atelier d'un bricoleur pas comme les autres.

Propos recueillis par X_Wazoo

For eventual non-french speakers here is the original english text on pastebin : http://pastebin.com/ELf9HSUt



Comment as-tu commencé à travailler sur cette étrange technique de sculpture et de collage sur vinyles qui est la tienne ? Etais-tu déjà un musicien avant cela ? En bref : quel est ton C.V. Artistique ?

Je suis un artiste sculpteur, performer et parfois musicien. J'adore travailler aux limites de l'art et de la musique. Ainsi mes travaux traitent le plus souvent du son, du rythme, des motifs et de la répétition. Durant mes études (pour être professeur d'art) à l'académie d'Arnhem en Hollande, j'ai déjà commencé à utiliser des sons dans mes travaux, quoique pas aussi fréquemment que ce que je produirai par la suite. C'était uniquement de l'art qui se concentrait sur la technique elle-même. J'aime le côté apaisant que peut produire la technique. Tu peux inventer des machines ou des appareils qui te procurent du confort ; qui ne sont pas fonctionnels à proprement parler mais qui paraissent poétiques voire sortis d'un conte de fée. J'espère que tu comprends que l'essentiel est dans l'imperfection de la répétition.
Tu peux faire vingt dessins, aucun ne sera exactement identique à un autre. Je ne veux pas que les choses soient pareilles les unes aux autres, je veux qu'elles évoluent, qu'elles grandissent, pour créer de nouvelles trajectoires.

C'est également ainsi que fonctionne la musique : j'adore la répétition, ça crée des rythmes et ça met en place des motifs. Pour les knip/plak j'utilise simultanément quatre lecteurs de disques qui jouent des flexidiscs découpés. Chaque lecteur a son aiguille fixée de manière à ce qu'il ne puisse jouer que des locked grooves [ndlr : lorsque seule une courte partie du vinyle se joue en boucle à l'infini]. Tous les lecteurs jouent à la même vitesse, mais ça n'est jamais exactement pareil. De cette manière, les motifs se meuvent et les sons s'échangent. Ça rend le tout dynamique. Tous mes enregistrements (ainsi que mes lives) se font en une prise ; pas d'overdub ou de retouche studio. J'aime l'improvisation et ne jamais savoir exactement ce qui va se produire.

Bon sang mais c'est bien sûr, un locked groove, ça me semble évident maintenant que tu l'évoques mais ça m'a vraiment travaillé de me demander comment est-ce que tu avais réussi à répéter ces motifs sans utiliser d'ordinateur ! Nous reviendrons à la répétition plus tard, pour l'instant tu nous a donné quelques insights sur la façon dont ta technique fonctionne, pourrais-tu nous dire à quoi ressemble un jour "typique" dans l'atelier de Jeroen Diepenmaat ?

Un jour typique commence par répondre aux mails chez moi, puis par un trajet en vélo jusqu'à l'atelier. Une fois arrivé, je mets un peu de musique. Voici ce que j'écoute ces derniers temps dans mon studio : ArtBBQ (n'hésite pas à aller sur ce site pour découvrir de nouvelles musiques ; ça montre la musique que les artistes passent dans leur studio!). Ou bien je commence par mettre des disques sur mes 4 lecteurs, en jouant avec les locked groove et les rythmes. Je les laisse tourner un temps, en changeant les motifs, puis je me mets pour de bon au travail. J'écoute en travaillant, et je travaille en écoutant.





Enfin bref, j'ai mon espace de travail avec mes différents projets. En ce moment, je travaille sur une série de sculpture appelée The Silence Is Now. Ce sont des formes créées à partir de disques 7, 10 ou 12 pouces ; des disques qui ne peuvent pas être joués de façon standard. Ça impose beaucoup de mouvement, d'échanges, d'arrangements et d'étude. De composition en somme. À midi je déjeune, me promène ou rend visite à un ami. Après cela je retourne au boulot. L'après-midi rebelote, le 'motif' se répète. Je passe d'un projet à l'autre ; sculpter et écouter, composer et improviser... J'espère que ça te donne une idée, c'est difficile à décrire !

Je vois oui, merci d'avoir répondu rigoureusement je sais bien que c'est une question difficile. Et merci du partage, cet ArtBBQ est une très chouette initiative, ça aide à s'imaginer l'atmosphère quand tu travailles. Maintenant j'aimerais t'interroger sur le matériel que tu utilises dans tes sculptures ; quand tu découpes des flexidiscs, d'où ces disques proviennent-ils ? Possèdes-tu un immense collection de disques variés, prêts à être utilisés pour des compositions potentielles ? Étant moi-même très protecteur envers les quelques vinyles que je possède je m'interroge sur ton attachement et ta relation à ces objets.

Oui je vois vraiment les vinyles comme du matériel pour des enregistrements. J'ai ai énormément ; mes proches les collectionnent pour moi, je reçois beaucoup de disques de mes amis et de ma famille. J'aime particulièrement les disques étranges, des disques d'effets sonores, avec des sons d'oiseaux, de battements de cœur, de trains, etc. Mais aussi les albums éducatifs ; des cours de langue, comment apprendre à écrire en sténo, etc. Et donc les flexidiscs. Je préfère les user un minimum avant de verrouiller l'aiguille. Ils sont principalement faits pour des usages promotionnels donc tu peux les voir très souvent dans des marchés, j'en ai beaucoup et pas mal en double.





Je vois les sons et les disques avant tout comme du matos. Pour faire de nouveaux sons tu dois d'abord découper tes disques favoris. Les deux ou trois premiers disques furent difficiles à faire, j'étais très prudent. Mais tu t'y fais et ça devient de plus en plus facile. Ça fait de moins en moins mal à mesure que tu comprends que ça permet de créer de nouveaux possibles.

Ça me fait mal rien que de te lire haha, mais oui j'imagine que tu t'y fais ! Je peux me tromper, mais je suppose que ta technique implique nécessairement des essais et erreurs. Est-ce que tu finis souvent par ne pas être satisfait des résultats et par décider de ne pas les publier ? Y a-t-il beaucoup de matériaux non achevés ou non utilisés dans tes archives ?

Désolé de te faire ressentir ma douleur !
Oui, c'est beaucoup d'essais et erreurs, ou une courbe d'apprentissage : je finis par connaître la coupe des disques de mieux en mieux, par savoir où les bonnes parties sont, où est-ce qu'elles jouent le mieux. De toute manière ça prend du temps, tu n'as pas à avoir peur de faire des erreurs. La beauté naît des erreurs. Si quelque chose est totalement poli et reluisant, ça devient ennuyeux. Les craquements et le bruit génèrent du contraste. Les sons polis en comparaisons ne feront que briller davantage.

La plupart du temps je collecte beaucoup de matériaux et je commence à jeter les parties non-satisfaisantes jusqu'à ce que les bonnes parties soient distillées... Donc il n'y a pratiquement pas d'inachevés ou d'inusités. Quand ça n'est pas bon, ça ne mérite pas d'être sauvé. Je peux être parfois très strict !

Composes-tu exclusivement en allant là où ton bricolage te mène, ou bien t'arrive-t-il d'avoir une idée plus ou moins précise de ce que tu veux accomplir avant de commencer une sculpture ?





J'ai des règles ; par exemple je ne veux pas utiliser plus de 4 disques par lecteur. Uniquement deux vitesses différent, et que des locked grooves. Mais pendant que je joue il m'arrive de ne pas respecter les règles parce que j'ai envie de découvrir quelque chose de neuf... Cela va de même avec la sculpture ; j'ai envie de faire cette image que j'ai dans ma tête, mais elle se transforme à mesure que je la construit, le matériel réagit étrangement, d'une manière imprévisible, certainement pas de la façon dont je l'aurais voulu mais d'une belle façon.

Juste pour se faire une idée, combien de temps ça a pu te prendre pour faire le dernier knip/plak EP ?

Le dernier a pris beaucoup de temps dans le processus d'enregistrement, d'écoute et d'effacement de pistes... En comptant la pochette ça a dû me prendre à peu près un mois et demi pour tout faire.

D'après ton bandcamp tu as commencé à publier et à rendre publique tes œuvres depuis 2016, et à ce jour tu as déjà 4 cassettes sous le bras. As-tu l'impression que ton art évolue depuis que tu as commencé ? Par exemple, pour avoir écouté tes 4 EPs j'ai l'impression que la "face B" de knip/plak EP03 est la pièce la plus mélodique et apaisante que tu as créé jusqu'ici.



Je fais de plus en plus de musique, mais désormais je prends ça moins au sérieux. Avant je pensais que faire paraître de la musique était difficile et nécessitait beaucoup de réflexion, de montage etc. Mais je me suis mis à abaisser mes standards de manière à ce que je puisse plus facilement dire ; okay, c'est bon, partage le avec tes auditeurs. J'aime le fait que le téléchargement soit gratuit et que l'objet (en général en édition limitée) soit en vente. [ndlr : en effet, sur le bandcamp de Jeroen toute sortie numérique est à prix libre, mais les cassettes sont assez chères comparées à la moyenne, 16€ pour le dernier EP]. De cette façon tu peux partager la musique et la rendre accessible facilement et tu donnes quelque chose de spécial à ceux qui veulent vraiment te soutenir. Et bien sûr j'aime aussi faire la musique elle-même et m'occuper du packaging.

Je pense que tu as raison de dire que la face B de l'EP03 est la plus "facile" d'entre toutes. Au départ je n'étais pas satisfait par ce morceau, j'aime quand c'est un peu plus brut, plus perturbant, moins mélodique. Mais c'est une piste nécessaire. Vu sa longueur [11 mn] elle doit être engageante d'une manière ou d'une autre et j'espère que ça contribue à rendre l'autre piste plus accessible. C'est la piste qui ouvre la porte aux autres.

J'ai vu sur ton site (et tu l'évoquais plus haut) que tu faisais des concerts. Je me demandais la forme que ça pouvait prendre ; est-ce que tu joues des compositions que tu as déjà publiées ? Est-ce que ton dispositif te permet de moduler tes compositions d'une façon ou d'une autre pendant le show (comme accélérer ou ralentir telle ou telle partie) ? Y a-t-il une place donnée à l'improvisation ?

Les performances live avec les knip/plak sont quasiment toujours des improvisations. Bien sûr, je répète avant et je sais vaguement ce que chaque disque joue, mais les mélodies et sons exacts ne sont pas prévus à l'avance. J'utilise donc mes règles ; je modifie la vitesse de lecture, j'essaie d'évoluer depuis des sons reconnaissables jusqu'à des structures plus noisy, et vice-versa. Je fais beaucoup varier la vitesse. Les performances durent entre 20 et 30 minutes, c'est volontairement court car il s'agit d'écoute intensive.



Merci d'avoir répondu à mes questions jusqu'ici Jeroen, ma dernière sera un peu clichée mais allons-y : l'inévitable question des influences ! Donc, qui considères-tu comme tes influences ? Musicales ou non.

Pas facile ! Je dirais Simeon Ten Holt, Steve Reich, Phillip Jeck, Christian Marclay, Roman Signer, Constant, Hanne Darboven, Stanley Brouwn, Jan Schoonhoven, Awee Prins, Spinoza, John Cage, Enzo Mari, Francis Bebey, Charlemagne Palestine, et beaucoup d'autres... Mais avant toute chose je m'estime influencé par mes collègues, mes amis et ma famille.




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