Chassol

Je laisse un peu de marge pour le hasard des rencontres, ça se passe jamais comme tu prévois de toute façon. [vendredi 03 juillet 2015]

Encore une interview qui a failli être compromise ! C'est qu'il est demandé Christophe Chassol, magicien du piano et harmonisateur du réel ; et lors de son passage au festival la Ferme Électrique, toute la presse se pressait devant le français aux doigts de fée. Tant et si bien qu'on a bien cru ne pas pouvoir lui causer plus de dix minutes. Pour ne rien gâcher, le bonhomme s'était couché à veille à 7h du mat, avait beaucoup de sommeil à rattraper et comptait bien pioncer un maximum avant son concert du soir. D'ailleurs quand nous sommes arrivés pour attendre sagement notre tour, il venait de sortir du lit pour s'entretenir avec les gonzes de Gonzaï qui nous précédaient. Quand vient notre tour, c'est avec une petite voix enrouée qu'il nous accueille, trahissant son évasion trop récente des bras de Morphée. Fatigué, mais certainement pas muet le mec, qui nous prend à revers dès les présentations pour nous interroger sur ce que c'est au juste que le rock indé (grande question !). On vous épargnera nos balbutiements à ce sujet pour passer directement aux vingt minutes glorieusement grappillées auprès d'un mec sacrément intéressant.

Interview par Lok & Wazoo



Chassol : Alors vous trouvez que c'est rock ? (rires)

-Non pas trop, c'est pour ça que c'est rigolo que tu te retrouves sur le site ! Donc ici à la Ferme Electrique vous avez réussi à avoir l'écran derrière pour passer votre film ; c'est pas galère de devoir gérer le dispositif visuel, sonore à chaque fois pour vos concerts ? Le live c'est pas l'horreur à organiser ?

C : Disons que la performance, d'une façon générale c'est un truc qui change tout le temps, c'est de toute façon galère, mais je pense pour n'importe qui, pour n'importe quel groupe, n'importe quel performer, c'est jamais pareil, de salle en salle, de moment en moment... Ouais c'est une galère (rires) Mais c'est super, après le film qu'on a fait sur l'Inde, Indiamore, j'ai fait quelques dates en Inde et j'ai fait une date à Delhi, une belle salle avec un bel écran, bien et puis j'ai fait la balance et y avait un petit rai de lumière, une p'tite merde sur l'écran. C'était un cinéma, et je leur fais : "mais, vous avez ça tout le temps ?" Et ils savaient pas, ils s'en étaient pas rendu compte, et c'est là que je me suis dit qu'il faut que je sache que je vais tout le temps avoir des problèmes, faut que je le sache pour pas être vénère tout le temps, mais faut essayer d'être exigeant aussi quoi. On est quand même en 2015 ; les salles sont équipées maintenant... Mais y a toujours des surprises quoi.

-Tu fais parfois des concerts sans avoir l'écran derrière ?

C: Non y a toujours l'écran, tu vois là par exemple on était à Osaka au Japon, on avait préparé les dates et tout et on arrive dans le club et.. y avait un drap quoi. (souffle) Mais tu peux pas tout contrôler, ou alors faut que tu sois un surconnard mais c'est sûr que là, c'est chiant quoi, c'est chiant qu'on te force à être comme ça quoi, à être dans le conflit, à gueuler, et tu te rends compte qu'il n'y a que les gens qui gueulent qui sont respectés, c'est horrible, c'est nul quoi, moi je suis pas du tout dans le conflit donc c'est un peu un problème. Après parfois ça peut partir comme ça d'un coup, mais globalement je ne me plains pas, on a des bonnes salles, de bons écrans, des gens cools qui nous accueillent... C'est cool de se faire ce métier quand même !

-Pour ton album Big Sun, il est un peu particulier parce c'est un disque avec en contexte visiblement la région où... Je sais pas si t'es né ou si t'as passé ton enfance là bas ?

C: Non je suis né à Paris mais j'y allais tous les deux ans en vacances deux mois quoi, tous les deux étés. C'était les congés bonifiés. Ma mère bossait à la Sécurité Sociale et mon père à la RATP, ils avaient ce qu'on appelait les congés bonifiés et donc on pouvait y aller tous les deux ans.

-Et ça t'a fait quelque chose de particulier de faire un disque là bas ?

C: Mes parents sont décédés dans un crash d'avion il y a 10 ans, c'est lié aussi forcément, c'est aussi un petit peu pour leur rendre hommage. Et puis c'est une culture que je connais hyper bien, je voulais essayer... Je suis hyper content même tu vois d'amener cette culture des Antilles dans des endroits ou on écoute du rock indé justement, qui sont plutôt blancs tu vois, où justement la vision de cette culture est parfois un peu condescendante – ça me chagrine pas mal – et là du coup je suis content que ça la « hype-ise » un petit peu (rires). Tu vois par exemple y a un morceau dedans, dans Big Sun, qui s'appelle "La Route de la Trace", c'est un morceau qui est au milieu du disque, on passe du sud au nord de l'île, c'est une vrai route qui s'appelle comme ça, qu'est sinueuse et qui passe dans la végétation, elle est magnifique avec sa végétation bien dense, bien verte, et c'était un truc qu'on faisait avec les parents, avec plusieurs familles, plusieurs voitures et on faisait ce qu'on appelait la Tournée du Nord, on faisait ça pendant les vacances en Martinique avec les thermos, les pique-niques, et on faisait l'ascension de la Montagne Pelée, tout ça. Et moi quand j'étais au collège j'écoutais The Cure et.. Comment te dire... The Cure c'était l'inverse des Antilles, les mecs...

- Le truc hyper froid hyper blanc

C: Ouais, hyper blanc becs, truc new-wave cold-wave c'que tu veux, enfin moi j'écoute que les trois premiers albums, bref tu vois avec le maquillage goth, tout ça c'est l'inverse d'un Antillais quoi ! J'écoutais ça, mes parents hallucinaient un peu et la famille aussi, mais gentiment, j'écoutais plein d'autres trucs sinon mais voilà, le morceau est directement dédié à Robert Smith et à "Jumping Someone Else's Train", qui a un peu le même système de clip : c'est un train qui est filmé de derrière et l'image est... backward, t'as l'impression que t'avances c'est un peu la même vue qu'on a pour la Route de la Trace, on filme depuis la voiture tout ça... J'sais pas si ça répond à la question ?

-Si si, ça donne des indices sur pourquoi c'était particulier d'enregistrer Big Sun là bas ! Alors pour la prochaine on a prévu... Comme on nous a dit qu'on avait pas beaucoup de temps on a réduit les questions et donc on se perd un peu...

C: Ouais nan, comme je disais je me suis couché à 7h ce matin, faut que j'arrive à dormir un peu avant le concert... Mais ça roule, c'est cool de parler, j'vais pas me plaindre qu'on s'intéresse à mon travail !

-Alors voilà : si tu devais choisir parmi tout ces souvenirs de voyage, c'est quoi la plus touchante prestation que t'aies capté ? La ou les meilleurs moments, les plus émouvants ou...

C: (silence pensif) Je réfléchis parce qu'il y en a plusieurs... Y a plein de trucs, par exemple cette scène de danse qu'on a filmé à Calcutta, c'est l'odissi en fait il y a trois danses principales en Inde, le kathak, le bharata natyam et l'odissi. On a filmé une répétition d'odissi avec quinze danseuses, avec leur prof Dona Vunguli (ndc : nom incertain, c'est ce qu'on pense avoir entendu sur les bandes), une sorte de Pina Bausch de là bas, et on est allé les filmer un samedi après midi à Calcutta, il faisait super chaud et... J'avais un peu l'impression d'avoir déjà vécu ce moment si tu veux, cette répétition, un samedi aprèm, y avait un côté Fame tu vois, je sais pas c'était hyper... j'avais l'impression d'avoir déjà vécu le moment. Et après quand j'ai fait la musique, ça coulait de source, c'était comme si je l'avais déjà faite, comme si elle existait avant.
Il y a ça, et à New Orleans aussi, on revenait un peu les larmes aux yeux de chaque séquence qu'on a tournée. Parce que tu vois c'était après Katrina, tu voyais la ville toute défoncée, avec des inscriptions sur les maisons abandonnées : le nombre de morts et la date où ils avaient trouvés les gens (courte interruption pour saluer Benjamin le guitariste et Lucie la batteuse d'Aquaserge qui passaient par là) donc ouais les tournages à New Orleans étaient super intenses, post-Katrina avec des gens qu'ont la patate alors qu'on filme vers une digue où tout à pété, là c'était... (soupir chargé) c'était hyper émouvant, hyper beau.
Et puis sur les Antilles, sur les Antilles... ouais quand même y avait plein de moments (il réfléchit) on a fini dans un cimetière avec Mario Masse qui était flûtiste sur les disques de mon père, que j'ai retrouvé là et qu'on a filmé un mercredi aprèm dans un cimetierre... Je vous dis les histoires des journées parce que c'est un peu ce truc Proustien, de penser un jeudi de 1983 (rires) l'automne, qu'est ce que ça donne, le truc des saisons...
Donc ça et puis l'Inde, toute l'Inde, sur les gat à Benarès – Bénarès c'est la plus vieille ville d'Inde quand même ! On était en sueur, on devenait des éponges, c'était pendant la mousson, où cette femme, cette joueuse de sitar, à qui je demande ce qui se passe, à quoi elle pense quand elle joue du sitar, et elle me dit qu'elle joue pour Dieu, qu'elle essaie de jouer le mieux possible pour Dieu, elle me dit "Music is God my Love" et on en a fait un morceau que les gens ont bien aimé... Enfin tu vois c'est des bons moments ça, y'en a plein...

-Comment tu t'y prends pour capter les sons ? Je t'imagine un peu comme le mec de "J'irai dormir chez vous", à toquer chez les gens...

C: Ah ouais, Maximy... En un peu moins relou je pense (rires)

-J'espère ouais, et donc est-ce que tu déjà pris des lapins ou des gens qui refusent, comment est-ce que ça se passe ?

C: Je pars avec Yoann LeVasseur qui est mon ingé son, qui bosse avec moi sur les concerts aussi, c'est quelqu'un que je connais depuis assez longtemps on s'est rencontré sur la tournée de Sébastien Tellier, on a fait les 400 coups ensemble, on est allé partout, donc lui qui prend le son, à la perche, il est hyper fort, c'est quelqu'un de très particulier, qu'est donc ingé son, il lit de la philo il vit à la campagne, il aime bien faire la fête aussi, il sait tout réparer, il est très littéraire tu vois, c'est un mec génial, et puis avec Marie France Barrier qui fait les images, on est à trois on est assez mobile. On va voir les gens on les rencontre, assez spontanément. Mais moi je prépare beaucoup avant de partir, je prépare quelques rendez vous, mais en laissant quand même pas mal de place...

-À l'imprévu...

C: Ouais, à la spontanéité des rencontres, parce qu'en fait tu te rends compte que les gens quand tu vas les voir il te disent toujours à peu près la même chose : "Oh vous auriez dû venir hier y avait un mec super !" (rires), tu vois des choses comme ça, enfin on prend le temps je remplis pas l'agenda complètement, je laisse un peu de marge pour le hasard des rencontres, ça se passe jamais comme tu prévois de toute façon.

-Forcément ouais.

C: Et non jamais eu de refus... Enfin si j'ai eu quelqu'un en Inde ! En Inde j'étais parti deux ans auparavant pour faire des repérages, j'ai revu les gens que j'avais rencontré en 2010, je les ai revu en 2012 pour les filmer, et y avait cet endroit qu'était un genre d'IRCAM de Calcutta, le Sangeet Research Academy, truc de puriste, musique classique indienne, très sérieux, et je les avais rencontrés en 2010, j'avais quand même réussi à m'entendre même si je leur avais montrés des harmonisations de Ravi Shankar que j'avais faites et ils m'avaient dit : « Oh les gourous vont vous crucifier d'avoir fait ça, ça se fait pas... »

-Tu touches au sacré !

C: Ouais, et y en a un qui comprenait, j'avais des liens avec lui, Ulhas Kashalkar, un super chanteur, y a son fils aussi à qui il enseigne, bon et eux en général ils étaient un peu plus à se la raconter, à être moins ouverts que les autres, finalement on va quand même faire le truc, on va faire la performance, mais eux...

-À faire des manières quoi.

C: Un peu, mais surtout à me demander beaucoup plus d'argent que les autres, pour me donner vachement moins, niveau coeur, vibes et tout, du coup je les ai pas mis dans le film.

-Ah ouais c'est pas eux qui ont refusés c'est toi qui n'a pas voulu !

C: Bah c'est à dire que quand je voulais bosser dessus je sentais pas un frisson dans ce qu'on avait filmé, j'avais pas de plaisir à travailler dessus. Tout les autres j'ai eu vachement de plaisir.

- La question suivante c'est con, c'est celle que je voulais te poser au début et je l'ai oubliée tellement ça me paraissait évident : ton style, l'Ultrascore, c'est quand même un truc vachement particulier, qu'a priori on retrouve pas ailleurs – moi ça me fait penser à la rigueur aux travaux de Steve Reich sur les Early Works ou Different Trains, que j'aime beaucoup

C: The Cave aussi.

-Ouais, j'ai pas encore fini d'écouter tout ça ; j'me demande comment c'était arrivé, des illuminations divines genre (claquement de doigt) c'est ça qu'il me faut ou ça fait de manière assez laborieuse avec des remodelages...

C: Pas laborieuse non, mais assez naturellement, de façon très fluide, c'est pas (re-claquement de doigts), t'as des p'tits moments comme ça tu te dis « ah oui tiens je pourrais faire ça », mais c'est plus au fur et à mesure, faut du temps pour la recherche, faut du temps pour expérimenter, trouver des systèmes, j'écoute Hermeto Pascoal depuis assez longtemps, un compositeur brésilien qui fait de l'harmonisation de discours depuis 92 lui, Il a fait un très bel album qui s'appelle Festa dos Deuses – et tout le monde me tanne avec un type, un canadien qui s'appelle René Lussier mais je l'ai jamais écouté, on me fait chier avec ça, surtout les canadiens haha – donc j'écoute Hermeto Pascoal, j'fais de la musique de films depuis que j'ai 20 ans, je suis habitué à bosser avec des logiciels de musique, de bosser en synchro, donc à manipuler l'image, à avoir dans mon ordi des vidéos, des logiciels de montage, de musique et que tout soit au même niveau, à un moment j'ai eu, et ça je le dis souvent, en 2005 y a eu YouTube qui est arrivé et ça a un peu changé la donne là vu que j'avais accès à plein de vidéos... Tu vois j'ai mon ordi et mon clavier qui est juste en dessous, je regarde des films, je joue en même temps que je regarde des films, tout arrive dans mon casque en même temps au même niveau, c'est à dire j'ai des sons, voix... Et un jour je me suis dit ben tiens j'ai qu'à prendre ce son qu'est dans cette vidéo et je peux associer la vidéo vu que je le fais avec la musique de film, c'était très logique tu vois, je me suis pas dit "ah c'est une trouvaille de dingue", c'était assez normal quoi.

-Et euh, je sais pas si on a encore le temps pour une dernière question mais... est-ce que du coup tu te sens proche du courant Field Recording, vu que tu fais des enregistrements de terrain, je sais pas si c'est une scène qui te parle ou...

C: Ben, en fait, je m'en sens pas très proche, j'avoue, mais en même temps je le suis, de fait quoi ! Mais y a un super bouquin qu'est sorti là, Field Recording avec tous les albums...

-D'Alexandre Galand ? Il est génial ce bouquin !

C: Ouais hyper bien, et des fois j'le prends, et j'tape sur Discogs, je commande des trucs, j'peux prendre Le brame du cerf, des bergers des pâturage suédois...

-Du yodel...

C: Ouais c'est magnifique tout ça, pour moi c'est des sources, c'est du biscuit quoi, des sources sonores c'est comme... Avoir une nouvelle gamme quoi, un p'tit jouet, un nouveau synthé ! Mais je me sens pas très proche j'avoue, même de la musique concrète, de Schaeffer tout ça... Mais de fait on fait du Field Recording c'est vrai !

-Oui c'est vrai qu'il y a une distinction entre la composition de Field Recording et le fait d'enregistrer simplement sur le terrain, même si c'est vrai que ça veut dire la même chose à la base, tu rends ça vachement pop au final, avec des beats de batterie, tu l'harmonises derrière donc..

C: Ouais les sons qu'on enregistre je les considère comme un riff de guitare, comme une gamme, un arpège, c'est un outil pour écrire la musique, mon but reste la musique. C'est vrai que le Field Recording c'est pas ma culture, là je m'y intéresse plus parce que je me suis mis à faire ça, mais c'est pas quelque chose que je connais très très bien. Mais je commence !

-Ok ben... (on nous fait signe que le temps imparti est largement dépassé) merci beaucoup !

C: Merci les gars, c'était cool vos questions.




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