Various Artists - Discrepant

GONÇALO F CARDOSO "Je veux pouvoir acheminer toute cette musique merveilleusement bizarre à des gens dans le monde entier" [mercredi 26 août 2020]

À la tête du label exotico-bizarre Discrepant, Gonçalo F Cardoso a accepté de répondre à nos questions par mail, pour nous parler de l'histoire de son label, de blog amateur à institution reconnue de la musique expérimentale, de ses projets futurs, de sa philosophie face au Covid, et bien sûr de ses multiples projets solo (Gonzo, Prophetas, Papillon, Visions Congo…).

Propos recueillis et traduits par Wazoo

For all non-french speakers, here is the full English transcript: here you go.



Wazoo : La première question que j’aimerais poser est simplement : comment Discrepant a vu le jour ?

Gonçalo : Discrepant a été créé par moi-même, Gonçalo F. Cardoso, en 2009 à Londres. Au début c’était juste un genre de blog où je postais des collages et des mixtapes, et très vite j’ai commencé à publier des travaux en format physique. Depuis il me suit partout où je vais, en accord avec l’attitude « sans frontières et itinérant » du label – actuellement entre les Canaries et Lisbonne.
La première sortie du label était le Xinjiang de Kink Gong, un collage surréaliste de Xinjiang, une province du nord de la Chine. À partir de là j’ai continué de publier de la musique inclassable du monde entier, sachant que le focus a toujours été fait sur le mélange de sons et de cultures. J’ai étendu le label original sur trois labels sœurs : Sucata Tapes (narrations dystopiques sur bandes), Souk Records (beats globaux) et Farsa Discos (side projects inventés sur 7’’). Le but, c’est de représenter toutes sortes de musiques depuis tous les recoins de la planète, tous regroupés sous la bannière Discrepant.



Cf la définition [ndlr: anglaise] de discrepant : « inconsistant ; conflictuel ; en variation [du Latin discrepāns, de discrepāre = différer dans le son, de dis-1 + crepāre être bruyant] »

Quels ont été les plus gros défis à surmonter quand tu as démarré le label ? Comment est-ce que tu trouves/recrutes les artistes ?

Tu dois vraiment travailler dur et sans arrêt pour peu, voir pas de revenus. Les premières années je ne suis même pas rentré dans mes frais pour la plupart des sorties. Tu finis par y arriver au bout d’un moment si tu y crois. Je suppose que le plus gros défi aura été d’avoir une véritable distribution… la distribution des disques/cassettes est essentielle si tu veux acheminer toute cette musique merveilleusement bizarre à des gens dans le monde entier. Les trucs chiants, genre les skills de comptable, tu t’en accommodes, ça vient avec le métier. Internet c’est le meilleur outil pour trouver des connections, trouver des nouvelles musiques et faire ta promo. Même si, avant la pandémie je prenais plaisir à voyager régulièrement pour rencontrer autant de gens que possible « dans le monde réel ». Cette pulsion est remplacée par l’internet désormais.

De ce fait, une question évidente : comment as-tu vécu pendant la pandémie, aussi bien en tant qu’artiste qu’en tant que tête du label. Ah et bien sûr en tant qu’habitant des îles Canaries ; est-ce que ça s’est propagé là-bas ?

Eh bien, j’ai eu la chance d’avoir un endroit bien sympa où résider ; quand le virus a touché l’Europe j’étais à Lisbonne en train de me dépatouiller avec diverses bricoles. J’ai été confiné là-bas pendant le gros de la quarantaine. D’une certaine manière j’étais de retour au pays, à la maison, avec tout mon bordel, entouré de bouquins, de disques et d’instruments, donc je ne suis pas vraiment à plaindre. J’ai d’ailleurs commencé cette série appelée coronaloops.com où je fais des mini compositions de 1 minute en y attachant une vidéo. J’ai invité des artistes de la famille Discrepant à participer et c’est devenu un échange bien cool. Si on se remange une vague de virus dans la tronche j’irai probablement reprendre le projet. Ça te tient occupé.



J’ai aussi décidé de continuer à sortir des disques, avec dans l’idée que les gens bloqués chez eux ont envie d’écouter de la musique. Le seul point noir pour moi, en vrai, c’était de ne pas pouvoir bouger. Pas de tournée, pas de route, moins d’idées, mais on doit s’adapter peu importe ce qui se passe… ma vie d’avant était un luxe, quelque part, et j’ai au moins pu réaliser la chance que j’avais. Depuis je suis retourné dans les Canaries où les choses semblent calmes – en surface en tout cas. Les îles ont un avantage géographique pour contenir ce genre de problèmes (sauf dans le cas du Royaume Uni, qui semble transformer en merde tout ce qu’il touche apparemment), vu qu’il n’y a pas de tourisme et qu’on n’en est pas dépendant, il y a un sentiment de quiétude – et de désespoir aussi. Le temps seul nous donnera les réponses… on verra comment les prochains mois vont évoluer.

Publier des nouvelles sorties doit être très différent de publier des rééditions, non ?

Je ne publie pas vraiment de rééditions. Tout ce qu’on sort est nouveau, ou bien les artistes sont toujours en activité, donc je ne suis pas un expert en la matière. À vrai dire, j’essaie de rester à l’écart de ce type de travail, il y a assez de gens qui s’en occupent déjà.

Est-ce que tu peux préciser en quoi tes autres labels se distinguent de Discrepant ?

Sucata Tapes a été créé par ma pulsion d’étendre le catalogue du label avec des projets qui pour autant ne seraient pas forcément à leur place sur Discrepant. Ou bien simplement des projets qu’il serait trop risqué de presser en vinyle.



Ainsi Sucata est un label de cassettes uniquement, un format que j’adore encore aujourd’hui. Le focus se fait sur des dystopies, des projets S.F., même si c’est un concept assez vaste, et qu’il arrive qu’un projet Sucata puisse être publiable sur Discrepant. J’ai aussi démarré Souk Records et Farsa Discos, qui se concentrent sur des beats globaux et sur des projets 7’’ respectivement.

Tes compilations « Various Artists » faites maison sont splendides. J’ai d’ailleurs découvert Discrepant parce qu’un type random sur Internet a recommandé Antologia de Música Atípica Portuguesa Vol.1. Depuis, le deuxième volume est sorti, tout aussi bon. Est-ce que tu pourrais parler de ce type de projets ? Est-ce que tu as d’autres compilations en réserve pour bientôt ? – si c’est pas top secret.

Merci. Oui, il y en a quelques-unes. Le volume 3 de Antologia Atipica est dans les starting blocks. J’ai aussi l’envie d’étendre ces compilations à d’autres régions. Comme les îles Canaries où je vis depuis maintenant 3 ans – j’ai eu le temps de fricoter avec la scène expérimentale locale. Je travaille aussi avec Francisco López sur une compilation qu’il a masterisée, appelée « Gritty, Odd and Good », présentant de la musique bizarre d’endroits improbables, comme San Marino, le Lichtenstein, le îles Feroe, la Guyane, Oman, etc. Si tout va bien ça sortira en 2020, une année bizarre pour publier des disques mais on continue comme on peut.



Je tiens tant que j’y suis à saluer les descriptions passionnées qui accompagnent chaque sortie du label, ça donne toujours envie de se pencher sur votre catalogue. Sinon, à force de travailler avec tant de musiciens excentriques, tu dois bien avoir quelques anecdotes uniques avec certains d’entre eux. Est-ce que tu en partagerais ?

Je ne saurais pas par où commencer, demande moi un artiste en particulier et j’en aurai peut-être une marrante.

Par exemple, Laurent Janneau (de Kink Gong) et Mike Cooper sont deux gars qui me fascinent, avec des discographies bien perchées.

Ils sont tous les deux dans le bain de la musique expérimentale, à faire leur truc depuis maintenant bien longtemps. Ils ne font pas nécessairement partie d’une quelconque scène, ils autoproduisent, s’autodistribuent aussi, souvent sur la route. Ils ont tous les deux d’immenses discographies sur leurs propres labels CDr, ainsi que sur Discrepant et d’autres labels. Ils sont complètement indépendants et DIY, des esprits libres qui mettent un point d’honneur à se mettre en danger et faire quelque chose qui leur ressemble peu importe le prix. Une discipline anarchique qu’on ne voit plus que rarement de nos jours. À mes yeux ils ont l’attitude idéale et un engagement absolu envers leur musique. C’est de toute évidence ce qui m’a poussé à travailler avec eux.




En plus de ton job de présent de label, tu opères aussi en tant qu’artiste solo. Quand est-ce que tu as débuté en tant que musicien/collagiste/field-recorder ?

J’ai toujours été un auditeur avide. J’ai traîné mes guêtres dans des groupes punks et expérimentaux dans ma jeunesse, et puis après un break (où je me suis mis à faire des films) j’ai décidé de revenir avec une toute nouvelle approche, expérientielle. Je me suis retrouvé à enregistrer des sons tous les jours, aussi bien à la maison que partout où je voyageais – c’est-à-dire énormément, sur les 6 dernières années, avant la pandémie. Une fois de retour à la maison j’ai décidé d’arranger ces enregistrements de terrain en une sorte de journal audio ou bien de mixtapes que je partageais en ligne sur un blog, le site original de Discrepant ! Ce n’est qu’après avoir construit un semblant de catalogue que j’ai senti le courage de commencer à publier ma musique en physique.



Ta discographie peut parfois être dure à suivre vu que tu as de multiples alias. Est-ce que tu pourrais parler de tes différents projets et de la manière dont tu conceptualises chacun d’entre eux ?

Il s’agit juste de se concentrer sur un son donné et un concept à la fois. Habituellement je commence avec une idée générale, un concept d’où je peux sculpter un enregistrement. Par exemple, je travaille actuellement en tant que Prophetas, une sorte de vision dystopique de notre futur (proche) et de l’effondrement potentiel de notre civilisation, basé sur la surcharge technologique. J’emprunte à des concepts esthétiques des 60s jusqu’aux 90s pour exprimer cette espèce d’évolution conceptuelle, comment on s’est retrouvé là et comment on a tout flingué. Evidemment, comme pour tous mes autres projets, c’est très second degré. J’essaie de garder ça ludique et intéressant à l’oreille, enfin j’espère. Donc chaque projet, comme Papillon (cauchemars tropicaux), Gonzo (field recordings insolents), Visions Congo (panorama afro-inspirés) a son propre thème qui aide à cadrer la musique au sein d’un concept.



Je serais intéressé d’en savoir plus sur ton état d’esprit créatif. Entre les field recordings, les collages radio, les parties « jouées » avec tes instruments, etc. La manière simple de te poser cette question ce serait en disant « comment tu inventes tout ça ? » mais bien sûr la réponse, elle, ne serait pas simple.

Ma principale inspiration, en général, c’est un lieu. L’endroit où je me trouve à un instant donné va souvent servir de déclencheur, d’où mes voyages incessants et mes déménagements dans des endroits peu familiers, pour capter des sons qui me sont inconnus. Je pourrais aussi avoir lu un livre ou vu un film qui m’auraient inspirés et donnés envie de plonger dans cet univers pour le faire mien. Je commence souvent par mettre des enregistrements random ensemble, des bouts divers, des fragments sortis du plus profond de mon disque dur. J’appelle cette étape le « partial recall », genre réassemblage de mémoire brumeuses en des espèces de cartes postales soniques qui font sens pour moi et qui évoquent mes souvenirs au travers d’une lentille déformante. Bien sûr, ça varie toujours, un album peut être fait en deux semaines comme il peut prendre 5 ans à boucler. Je bosse en permanence sur plusieurs projets en même temps donc je ne m’ennuie jamais trop et je ne suis pas anxieux pour la suite.





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