Maintenant que j'ai un peu affiné mon point de vue sur l'épisode 8, je déterre ce topic pour écrire un pavé qui soulerait sûrement les cinéphiles non-starwarsisants du forum et les derniers qui en ont quelque chose à foutre mais qui ne l'ont pas encore vu, c'est un bon moyen de ne pas les spoiler.
Je viens défendre un peu plus en avant pourquoi, à mon sens, il ne mérite pas l'avalanche de critiques négatives de la part des fans et pourquoi, osons un peu plus loin, il mériterait même d'être revu sous un autre angle par ceux-ci. Le problème, c'est que je comprends tout à fait que cette perspective leur soit désagréable. Mais il faut bien voir sous quel critère on le juge avant de lui jeter la pierre. Je pense, pour ma part, qu'il faut distinguer ses qualités en tant que film et ses qualités en tant que partie de l'univers Star Wars.
Non, Episode 8 n'est pas un très bon film, mais oui, c'est un film Star Wars intéressant avec un parti pris défendable qui fait de son mieux pour sauver la trilogie dont il fait partie.
Je vais d'abord revenir, puisque j'essaye d'être objectif, sur les défauts qui pour moi sont "incompressibles", dans le sens où ils plombent le film et peuvent rebuter le spectateur le plus neutre vis-à-vis de la saga :
- Le film est trop long et mal rythmé pour ce qu'il raconte. Du coup, certaines choses sont expédiées et d'autres deviennent ennuyeuses. Le temps dans l'histoire est également mal géré, puisqu'on a une intrigue qui semble s'étaler dans le temps (Rey/Luke) et une autre qui semble se dérouler sur à peine quelques heures (les vaisseaux).
- Ils ont intégré des codes des blockbusters actuels (les films Marvel) dont l'humour qui est à mon sens mal géré et dessert souvent le film.
- C'est un film catalogue de jouet (mais là, pour le coup, c'est valable pour tous les Star Wars).
- Certains éléments un peu foireux sont injustifiables (Leia dans l'espace) et c'est à vous de voir si vous réussissez à passer dessus ou pas.
- Le côté sériel donne une trame principale un peu "téléfilm", alors qu'il se passe pas mal de chose dans le fond, l'équilibre entre les deux n'est pas bien géré (se couple avec la longueur du film).
- Le film ne se suffit pas à lui-même. Pris de façon indépendante, il ne fonctionne absolument pas (encore que, ils ont évité de finir par un cliffhanger trop série tv, comme c'était le cas du 7).
Maintenant que ces critiques sont posées et intégrées, on va commencer par dire que, malgré tout, certains de ces défauts découlent du besoin de combler les faiblesses du 7 et pouvaient difficilement être évités. En revanche, il y a certaines critiques qui me paraissent injust(ifié)es :
1- le traitement de Luke Skywalker serait désastreux.
2- le film n'aurait pas d'enjeux.
3- ce serait un pâle réchauffé des épisodes 5 et 6 dans le désordre.
1 - Déjà, pour ceux qui reprochent à Luke de ne pas être assez badass, si le voir seul faire face à l'armée du Premier Ordre en mode western spaghetti ne vous suffit pas, je ne vois pas ce qu'il vous faut. Ensuite, l'évolution de Maitre Jedi super confiant à vieil ermite aigri n'est pas du tout incohérente, ni avec la justification qu'on nous donne (son échec d'éduquer Kylo Ren) ni avec ce qu'on a vu du personnage. Ce côté sombre, il l'a dans les épisodes 5 et 6. Le défaitisme, vous vous souvenez de l'entrainement sur Dagobah? On retrouve un personnage 30 après, on nous présente un personnage différent de là où on l'a laissé sans que ce soit incohérent. On pouvait vouloir autre chose et être déçu de ce qu'on a dans un premier temps, mais on ne peut pas vraiment critiquer ce choix pour des raisons objectives, d'autant plus qu'il est non seulement cohérent avec l'univers (regardez ce que sont devenus Obiwan et Yoda entre l'Episode 3 et la trilogie originale) mais aussi cohérent avec ce que le film veut raconter. Je trouve beaucoup plus respectable un traitement comme celui-ci que celui de Han dans l'épisode précédent, qui n'était que pur fan service sans aucun fond.
2- Je ne comprends pas qu'on puisse honnêtement faire ce reproche quand on a vu l'épisode 7 alors que celui-ci essaie tout du long de reposer un contexte à l'histoire (ou du moins de clarifier, et faire évoluer, le rapport de force qui justifie le positionnement des héros), mais qu'il se permet même une ouverture en traitant la question des neutres et profiteurs de la guerre.
Même l'enjeu de la partie la moins intéressante du film est de taille : la survie de la rébellion. La transmission des jedi. Le fait de rester inféodé ou non à l'ordre traditionnel des choses, et les conséquences que cela à sur l'avenir de la galaxie. C'est Star Wars, pas un film intellectuel. En terme de divertissement grand public, je ne vois pas ce qu'on pourrait vouloir de plus en terme d'enjeux. Quels étaient les enjeux du 7? Retrouver Luke Skywalker. Les enjeux de Rogue One, que tout le monde a adoré? Aucun, puisqu'on sait déjà ce qui va se passer après.
3- Ceux qui font cette critique, assez contradictoire d'ailleurs quand on la couple avec celle du traitement de Luke (en gros, "changez rien mais ne nous refaites pas toujours la même chose"), n'ont à mon avis pas du tout compris le sens du film.
Oui, de nombreuses scènes ou éléments d'intrigue évoquent fortement les épisodes 5 et 6. Mais à votre avis, pourquoi? Et pourquoi dans le désordre? Et pourquoi, à chaque fois, elles ne sont pas exactement pareilles?
Johnson n'est a priori pas stupide. Il sait que la plupart des gens qui vont voir ce film connaissent par coeur les précédents et il ne place pas ses références pour parler à leur fibre nostalgique (sinon, il aurait pu tout à fait suivre le plan d'Abrams, reprendre l'intrigue originale point par point). Ce qu'il veut, le message très clair du film, est posé par la relation Kylo/Rey : s'affranchir du passé pour trouver sa propre voie. L'un le fait en tuant ses mentors, l'autre en reprenant leur flambeau, le film essaye de faire un peu les deux. Combien de scènes abordent le thème de la transmission, du rapport au passé, de la construction de l'avenir? Déjà, c'est certainement un des Star Wars les plus métas de ce point de vue-là.
Et pour faire ça, le réal joue simplement avec les attentes du spectateur, il recrée une situation commune pour la détourner et ainsi prendre le spectateur par surprise. Tout est à l'image de cette planète de glace qui se révèle être du sel : on pense que Yoda va arrêter Luke mais il détruit le temple des Jedis, on pense que Kylo Ren va revenir du bon côté mais il préfère régner sur le Premier Ordre, on pense que Benicio del Toro est un Lando qui va finir par se racheter mais il est juste un opportuniste non-héroïque, et mon préféré, on pense que Rey a un lien avec les Skywalkers mais elle est une parfaite inconnue.
Cette dernière révélation est non seulement très efficace, puisqu'on ne pouvait pas voir le film précédent sans voir venir gros comme une maison la révélation de son lien avec la lignée de Luke, mais rend le personnage beaucoup plus intéressant en propre : Luke avait le poids de son nom, Rey a le poids de son anonymat.
Ce dernier point va aussi dans le sens de ce que j'interprète comme la deuxième raison de ces références incessantes : boucler les intrigues évidentes de l'Episode 7 et obliger le suivant à partir dans une direction différente d'une redite de la trilogie originale. Car une fois qu'on a géré la transmission des jedi, les origines du héros, la conversion de Vader/Kylo Ren vers le côté lumineux, la confrontation à l'Empereur/Snoke (qui là aussi joue à inverser les codes : Kylo tue immédiatement Snoke et le duel est avec les gardes qui sont inutiles dans l'Episode 6), il ne reste plus grand chose à prendre du 6 pour faire une bonne copie (ou alors Abrams copiera les téléfilms sur les Ewoks?), et quel plaisir de se débarrasser du masque de Kylo (et d'entendre Snoke lui balancer toutes les critiques qu'on a pu formuler en voyant le 7), de Snoke, de Phasma...Bref, pour ma part, j'ai du mal à voir ça autrement que comme une volonté de régler les conneries d'Abrams et d'obliger le prochain à partir dans une direction propre.
Le problème avec cette approche, c'est qu'elle ne répond pas à de nombreuses questions (c'était qui Snoke, au fait, ou Phasma, d'ailleurs...ou Finn, tant qu'on y est?), mais je pense que ça aurait été compliqué de développer toutes les intrigues, de les régler, de bien poser le contexte, de faire avancer l'histoire et de faire un film digeste. Le film est bien assez long comme ça. Il n'accomplit pas non plus ce qu'il met en place, et laisse au suivant la responsabilité de déterminer si vraiment ça valait le coup ou non.
2 phrases sont à retenir pour illustrer le message du film, en plus de la question du rapport aux ainés assez omniprésente : "transmets aussi tes erreurs, ce sont d'elles qu'on apprend", qui pour moi montre la démarche honnête de Johnson et sa volonté de proposer son propre truc, même si ce n'est pas parfait et "c'est comme ça qu'on gagnera, pas en tuant ce qu'on déteste mais en sauvant ce qu'on aime." qui à mon avis s'adresse indirectement aux fanboys hargneux et leur demande de prendre un peu de recul sur leurs déceptions pour voir ce qu'essaie de faire le réalisateur dans son ensemble.
Je termine en disant juste que je ne suis pas très confiant sur la trilogie dans son ensemble, je pense qu'elle n'aura que peu d'intérêt et je doute même que l'Episode 9 attrape la balle au bond puisqu'il est de nouveau confié à Abrams. Le gros problème ne vient même pas de lui, d'ailleurs, mais de sortir d'emblée une trilogie de films sans rien avoir à raconter, juste pour exploiter une licence. Elle en souffre forcément, et je crains que ce ne soit que le début. Mais cet épisode n'est en rien en cause et essaie de faire au mieux avec ce qu'il a pour proposer un divertissement honnête et passionné, à défaut d'être pleinement passionnant. Essayez donc de le revoir sans penser à ce que vous voudriez voir mais simplement à ce qu'on essaye de vous montrer. Peut-être qu'il trouvera alors grâce aux yeux des fans déçus.
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