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Dexter saison 1 ou Pourquoi je ne suis pas allé plus loin
 


Posté le 10 avril 2013 à 17 h 51m 51s

Puisqu'on parle de cette série comme d'une référence et qu'on la cite même dans des topics sur le cinéma, je voulais vous faire partager mon opinion sur celle-ci. (attention, spoiler)

On peut le dire sans pincettes, Dexter a été un phénomène à sa sortie. La plupart des critiques et des spectateurs ont fait l'apologie de sa noirceur, sa maturité et son originalité. Évidemment, un héros psychopathe, ça ne laisse personne de marbre et on a mis en avant cette approche amorale. Pour ma part, n'étant pas l'homme le plus réactif du monde, j'ai mis la série sur ma "to watch" list pendant un moment avant d'avoir enfin l'occasion de me faire mon propre avis. Et là, j'ai eu l'impression désagréable d'être floué.

Déjà, je vais quand même mettre en avant les points positifs. La série est bien jouée et compte dans son cast plusieurs transfuges de Oz. La narration est bien gérée, ce qui fait que globalement on ne s'ennuie pas et on a même souvent envie de regarder la suite quand on arrive au bout d'un épisode.
C'est tout ce qu'on devrait demander d'une série, non?

Non, ce n'est pas tout, car si la narration est bonne, l'histoire, elle, c'est une autre paire de manche. Dexter Morgan est un spécialiste des traces de sang pour la police de Miami, c'est aussi un tueur en série. Orphelin, ayant subi un traumatisme dès l'enfance, Dexter a été élevé par Harry Morgan qui lui a appris à être un tueur en série efficace et insoupçonnable. Du coup, Dexter a aussi récupéré une petite soeur (qui elle aussi suit les traces de son père en travaillant pour la police de Miami). On a le droit aux relations entre Dexter et sa compagne Rita, victime de violences conjugales, et entre Dexter et ses différents collègues qui globalement l'adorent sauf un qui le trouve louche. Dans la première saison, le fil rouge est le Ice Truck Killer, un Jack l'éventreur moderne qui semble connaitre le secret de Dexter, s'introduit chez lui et lui laisse diverses provocations souvent sous la forme de poupées barbies démembrées.

Je vais zapper sur l'aspect Cop Drama, qui n'est pas meilleur ou plus mauvais qu'un autre, pour m'attarder sur le fil rouge qui nous ressort quand même tous les clichés du genre : faux coupable, tueur qui s'immisce dans l'intimité du protagoniste, et surtout qui apparait au départ comme un personnage inoffensif et sympathique, toutes ces grosses ficelles qu'on a déjà vu mille fois resservies avec une invraisemblance démesurée, on pourrait passer sur tout cela s'il n'y avait pas l'élément de trop : la résolution d'intrigue à la Santa Barbara.

Chaque fois que Dexter retrouve chez lui un indice laissé par le Ice Truck Killer, là où le téléspectateur lambda est censé se dire "oh la la!", on se retrouve partagé entre 2 idées : soit Dexter n'est pas aussi bon à cacher ses traces que la série le laisse entendre, soit cet élément d'intrigue est dénué de toute logique. Ces éléments narratifs récurrents enferment alors l'histoire dans ses contradictions entre la manière dont on veut développer le personnage de Dexter et la nécessité d'introduire du suspens qui se heurte au "contrat" de départ. Les scénaristes se retrouvent pris à leur propre piège : offrir une solution narrative solide qui justifie toute les incohérences répétées ou décrédibiliser leur personnage. Au lieu d'opter pour l'intelligence (pas facile, ceci dit), ils choisissent le sensationnel et propose une solution digne d'un soap opera.

Pour proposer une fin de saison encore plus sensationnelle, je vous donne trois idées alternatives :
- le Ice Truck Killer est manipulé par Rita, la compagne de Dexter, qui en fait a feint ses traumatismes, embauché des acteurs pour jouer son ex-mari et ses enfants et poursuit Dexter sans relâche depuis que celui-ci a tué son petit chien skippy quand il était ado (Dexter, pas le chien).
- Le Ice Truck Killer est en fait manipulé par Drake, le jumeau maléfique de Dexter.
- Le Ice Truck Killer est en fait manipulé par Harry qui finalement n'est pas mort et tout n'est qu'une mise en scène pour voir jusqu'où Dexter est prêt à aller.
Si les scénaristes de la série nous lisent, j'espèrent qu'ils seront prêts à m'embaucher!


On pourrait me dire que je pinaille, puisqu'après tout je ne me plains que de la résolution scénaristique de l'intrigue. Ce qui est intéressant dans cette série, c'est surtout son personnage.
Encore une fois : Non, le personnage de Dexter possède des côtés qui me dérangent profondément en tant que spectateur, et aussi en tant qu'être humain, et je ne parle pas du fait que c'est un tueur en série. Mais j'avoue, ce n'est pas sa faute. Il faut blâmer Harry.

Dexter a eu des pulsions violentes très jeunes et s'est mis à tuer des animaux du voisinages. En apprenant ça, Harry lui dit un truc du genre "Ecoute, je sais que tu as ces pulsions qui te poussent à tuer. C'est entré en toi beaucoup trop jeune, tu ne peux rien y faire. Je vais t'apprendre à tuer les gens pour les bonnes raisons et à ne jamais te faire prendre." Donc on a Harry, le héros américain de base, le bon flic à l'ancienne, bon père de famille, qui transmet une des règles les plus malsaines qu'on puisse donner à un enfant "faire des conneries ce n'est pas grave si tu ne te fais pas prendre."
Déjà, on peut faire des reproches à Harry le pédagogue. Mais en plus, tout criminologue aussi amateur soit-il (et je pourrais même étendre à tout les spectateurs occasionnels de Faites Entrer l'Accusé) savent qu'il n'y a pas de déterminisme criminel, même s'il y a des critères déterminants. Pour faire simple, tout violeur d'enfant a été violé enfant, mais tout ceux qui ont été violés enfant ne deviennent pas violeurs d'enfant. On dit souvent que c'est une affaire de rencontres, qu'il suffit que la victime rencontre un environnement qui le stabilise. Malheureusement pour Dexter, il a rencontré Harry. Harry le psychologue/criminologue ne vaut pas tripette non plus.

Ce qui me gène profondément dans ce personnage, c'est la manière dont il est mis en avant comme un modèle positif (le fameux role-model), une espèce de boussole morale pour le héros. Or, Harry est la personnification de toute une idée républicaine et conservatrice du monde à laquelle je suis fondamentalement opposé. Par le biais d'Harry, Dexter devient une expression du mythe du Vigilante (que les lecteurs de comics connaissent bien), ce personnage qui rend la justice là où la justice des hommes ne peut toucher, qui punit les méchants que la société ne peut punir. Dexter, c'est Batman qui tue. Dexter, c'est le Punisher en plus sadique. Par le biais d'Harry, Dexter personnifie une idée que parfois, la loi ne peut rien, qu'il faut des hommes au-dessus de la loi pour rendre la justice et que, dans certains conditions, le meurtre est acceptable. A cause d'Harry, Dexter est le porte-parole inconscient de tous ces beaufs qui clament haut et fort qu'il faut remettre la peine de mort pour les assassins d'enfants, l'opposant aux idées de justice progressistes et humanistes. A cause d'Harry, Dexter est l'incarnation des idées populistes à la Michel Sardou.


Certes, je vais dans un champ symbolique dans lequel on est pas forcé d'entrer en regardant la série. Apprécier Dexter ne veut pas dire qu'on est d'accord avec les valeurs qui sont défendues en filigrane. Et puis, il faut remettre la série en contexte, c'était assez atypique de voir une série avec un héros aussi amoral, non?

Une troisième fois non, et c'est certainement le pire défaut de cette série : ne pas donner ce qu'elle annonce. Car finalement, le mécanisme de Dexter qui veut que ce personnage perçu par les autres comme un héros sympathique et attachant n'est qu'un tueur inhumain et amoral est complètement faux.
Oui, Dexter Morgan est socialement inadéquat, il n'a aucune empathie et ne ressent pas les émotions humaines classiques, il est sans cesse dans l'imitation de comportements sociaux qu'il ne comprend pas vraiment. De ce point de vue-là, la série est plutôt bien faite, et je trouve que les meilleurs moments sont d'ailleurs ceux qui mettent en scène sa relation avec Rita, elle aussi grande naufragée de la vie. Mais Dexter ressent de l'attachement, visible dans ses relations avec sa soeur notamment, et on ne peut pas dire non plus qu'il soit parfaitement inhumain.

Pour ce qui est de l'amoralité, en revanche, on est bien loin du compte. car le protagoniste a une conscience claire du bien et du mal. La dynamique de la série repose sur le fait que Dexter sait que ce qu'il fait n'est pas bien mais le justifie par le code de valeur que lui a transmis Harry. Il est donc un "mal nécessaire", qui fait des actions que la morale réprouve pour qu'un ordre moral plus important soit préservé. Ainsi, on notifie surtout au spectateur qu'il peut s'attacher à ce personnage qui, s'il ne fait pas que des bonnes choses, les fait pour les bonnes raisons. On fait de ce tueur un personnage héroïque. Un anti-héros, mais un héros quand même. Un tueur amoral, nous en avons un bon exemple dans le personnage de Ben, dans C'est Arrivé Près de Chez Vous. Seul le second degré peut annuler l'aversion naturelle pour un enfoiré pareil.

Je pense que le problème vient précisément du fait qu'une série qui se veut grand public dans une certaine mesure (limite d'âge, on va dire) ne peut justement pas mettre en scène un protagoniste amoral auquel le (grand) public ne pourra ni s'identifier, ni s'attacher. Bien sûr qu'il y a toujours eu des personnages de "salauds formidables", comme Ryan O'Reilly dans Oz, mais ceux-ci finissent soit par se repentir, soit par être punis, car il faut avant tout préserver la morale.
Et là où on peut se sentir complètement arnaqué, c'est que non seulement Dexter possède une morale, mais comme nous l'avons vu dans mon passage sur Harry, il est le garant de valeurs conservatrices et rétrogrades, précisément celles que l'on prétend bousculer en présentant une série moralement ambigüe et dérangeante.


En conclusion, je trouve une meilleure histoire dans, au hasard, Breaking Bad et plus d'amoralité dans le personnage de Wilfred (de la série du même non). Quant à mes valeurs, je n'ai pas besoin de la télé pour me les dicter ou les remettre en question. Bref, Dexter est à mes yeux une vaste supercherie et n'est quoi qu'il en soit pas une série pour moi!


Posté le 10 avril 2013 à 17 h 53m 29s


Posté le 10 avril 2013 à 17 h 59m 10s

J ai jamais vu cette serie. Mais quelle plaidoirie!


Posté le 10 avril 2013 à 17 h 59m 26s

aussi

('pas osé lire le spoiler, des fois qu'un jour je me décide à mater la série)


Posté le 12 avril 2013 à 10 h 39m 37s

C'est effectivement ce côté "morale conservatrice" à la Charles Bronson qui m'a toujours dérangé dans cette série.

Ce qui m'inquiète en fait, c'est le succès de cette série ... Cela veut-il dire que tout le monde adhère à cette idée de "justicier" ?
Dans les dernières saisons, c'est de plus en plus dérangeant ... je ne vois pas comment Dexter peut continuer à vivre tranquillement (à se payer du bon temps sur son bateau) vu les dégâts qu'il cause autour de lui juste pour pas passer à la casserole ...

[Spoiler] Dès la saison 2, j'ai été choqué que Doakes (un peu con soit, mais qui n'a rien à se reprocher) passe pour le boucher ... C'est quand même dégueulasse pour sa famille, ses proches ... Et pendant ce temps, Dexter file du bon temps, il pêche, il baise ... Tranquille ...


Posté le 12 avril 2013 à 11 h 20m 40s

"A cause d'Harry, Dexter est l'incarnation des idées populistes à la Michel Sardou."

et c'est tellement vrai!! Belle analyse Blackcondor, je partage (presque) tout ce que tu dis. Dexter est une série que j'apprécie car elle est réellement divertissante et j'aime beaucoup le traitement poisseux et moite de la Floride MAIS au final c'est le conservatisme exacerbé que l'on retient.
Pourtant elle met en lumière les paradoxes inhérents aux américains, à savoir l'hésitation perpétuelle et souvent stérile entre modernisme et comportements hiératiques, entre la tentation manichéenne et l'incertitude du réel.


Posté le 12 avril 2013 à 14 h 14m 54s

Je dois avouer que j'avais surkiffé la saison 1, et que depuis, je vais de déception en déception ... Je pense que je continue à regarder pour les mêmes raisons que Twilliam : le divertissement (cerveau au repos), et l'ambiance de Miami ...

Petite précision : je ne m'inquiète pas du succès de la série en lui-même, mais plutôt je me demande si tous les gens qui la suivent prennent du recul par rapport à cette "morale"


Posté le 12 avril 2013 à 14 h 19m 43s

Je comprend pas cette réaction ..
C'est pas passke je regarde Breaking Bad que je vais me mettre à cuisinier de la meth ..

Le principe de la catharsis, tout ça ..


Posté le 12 avril 2013 à 14 h 35m 41s

Posté le 12 avril 2013 à 14 h 50m 35s

Dexter a raison : y'a des connards qu'il vaudrait mieux éliminer. C'est l'évidence même. Bon d'accord dans la réalité on ne rencontre pas tous les jours des individus 100% mauvais qui ne méritent que la guillotine. Mais le débat d'une "autre justice radicale nécessaire" est intéressant.
Dexter renvoie aussi au côté sombre qu'on a tous en soit. Si si on l'a tous, moi par exemple je suis etc etc....................................


Posté le 12 avril 2013 à 15 h 17m 12s

@Ourk : un scalpel ? Ça veut dire que faut arrêter dr. House et Grey's Anatomy ?


Posté le 12 avril 2013 à 15 h 26m 10s

Tout à fait.
Enfin surtout Grey's Anatomy parce que ça devenait grave lacrymogène.

( )


Posté le 12 avril 2013 à 15 h 30m 33s

Ben autant tu regardes Dexter et tu te dis "putain trop cool ce mec, il est beau, il plait aux femmes, il a du blé, un bateau, il s'éclate", donc tu prends vraiment le truc à la légère (ah oui, c'est vrai, il est serial killer, bah ...), autant Breaking Bad t'as pas trop envie d'être à la place de Walt en fait, parce que même avec ton son fric, il a vraiment une vie de merde ...

Ceci dit, on s'en fout, c'est vrai, y'a des trucs plus graves dans la vie, comme "rizzoli & isles" sur France 2


Posté le 12 avril 2013 à 16 h 50m 29s

Vous aurez mon analyse/ressenti de la série Dexter a partir de 18 h

(Vive l'open space )


Posté le 12 avril 2013 à 17 h 51m 23s

"A cause d'Harry, Dexter est le porte-parole inconscient de tous ces beaufs qui clament haut et fort qu'il faut remettre la peine de mort pour les assassins d'enfants"

D'accord avec toi, c'est vraiment beauf ce point de vue conservateur et en tous cas révélateur d'un mode de pensée à courte portée.
Il faudrait aussi remettre la peine de mort pour les assassins de qui est en âge de procréer, soit les meurtriers indirects d'enfants.




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