The Murder Capital

Paris [Café De La Danse] - mardi 11 février 2020

Je pensai avoir vu l'essentiel de ce qu'il restait à voir en matière de rock, cette musique figée et institutionnalisée s'adressant à un public vieillissant. Et puis je suis allé voir en ce lundi soir pluvieux ce petit groupe irlandais qui a fait sensation en 2019 avec un premier album intense produit par un tandem qui a fait ses preuves : Flood et Alan Moulder (je vous laisse chercher sur Wikipédia).

La première partie était pour le moins improbable : Junior Brother, un jeune et sympathique irlandais, tout seul avec sa guitare folk et sa chemise à carreaux. Une bonne partie de ceux qui, comme moi, étaient arrivés en avance, étaient perplexes en le voyant débarquer sur scène et s'asseoir sur sa chaise. Il n'a pourtant pas mis longtemps à nous convaincre, mêlant rudesse et subtilité avec ses chansons étranges entrecoupées d'interventions pertinentes et drôles : la rudesse de cette voix aiguë et nasillarde entre Fleet Foxes et Modest Mouse, la subtilité de ses changements d'intensité ; la subtilité de son fingerpicking hypnotique et groovy, entre Bert Jansch et Gary Lucas (le virtuose guitariste de feu Jeff Buckley), la rudesse de ses accords torturés et dissonants en mode Thurston Moore unplugged ; la rudesse de sa batterie rudimentaire, constituée de son pied droit tapant sur un tambourin, mais délivrant des rythmiques tout sauf binaires. Pas le genre de musique qu'on écoute tous les soirs avant de s'endormir, mais une première partie vraiment originale.

La suite se fait attendre, tandis que mon voisin guette la sortie de la programmation de Rock en Seine sur son smartphone. Les lumières s'éteignent, mais la musique persiste. Quand elle s'arrête, un roadie débarque sur scène, déclenche les distos et gratte la basse et les deux guitares pour lancer un feu d'artifice de feedback. Les musiciens suivent peu de temps après. Un bassiste psychopathe secoue sa Fender dans tous les sens, et puis c'est le premier morceau, le puissant et ravageur "More Is Less". Le chanteur, un mélange curieux de Morrissey le dandy poseur, Joe Strummer l'activiste exalté et Ian Curtis le prédicateur torturé, descend dans la fosse pendant le pont, fait le vide autour de lui, puis déclenche après un break un pogo d'enfer qui me projette trois mètres plus loin. Le ton est donné. Les morceaux suivants sont plus calmes, mais pas moins intenses. "On Twisted Ground" est l'exemple parfait de ce paradoxe : accompagné par des accords de basse tout juste caressés, le chanteur halète ses paroles entre deux silences, sur le fil du rasoir. On n'est pas très loin de l'emo originel de Fugazi, les deux clopes allumées sur scène mises à part. Et quand le tempo s'accélère, les pogoteurs se remettent au travail avec enthousiasme dans cette petite fosse peuplée par toutes les générations : "For Everything", le morceau le plus dense de l'album, suivi du tubesque "Don't Cling For Life".
Puis vient "Feeling Fades", sombre et violente, et rien d'autre. Les musiciens quittent la scène comme ils sont venus, remerciant le public. Les meilleurs morceaux de l'album joués en 50 minutes, pas de rappel, juste une tornade qui a essoré un public avide et alimenté un peu plus la légende naissante.


Exceptionnel ! !   19/20
par Myfriendgoo


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